Au cours des dernières semaines, la campagne sur le projet de prévoyance vieillesse 2020, soumis au vote le 24 septembre, s’est intensifiée. L’issue du vote étant incertaine, on s’active de part et d’autre pour convaincre les indécis de dernière minute, le plus souvent en brandissant de nombreux chiffres parfois difficiles à décrypter. Les avantages ou non de la réforme pour les femmes ont en particulier fait grand débat à gauche. Nous revenons sur le sujet avec Vanessa Monney.
Géraldine Savary affirmait récemment dans «Le Temps» que «pour la majorité des femmes et surtout pour celles qui en ont le plus besoin», PV2020 «c’est banco sur toute la ligne». Que répondez-vous?
Vanessa Monney Je constate une évolution surprenante du discours des pontes bien lotis du PS et de l’Union syndicale suisse. Au départ, ils admettaient que l’augmentation de l’âge de la retraite était «une couleuvre à avaler» pour elles. Mais plus la campagne avance, plus la réforme est présentée comme un progrès pour les femmes à petits revenus! C’est révoltant.
Le conseiller national Roger Nordmann par exemple a donné des exemples chiffrés. On constate tout d’abord, que la situation pour ces cas précis ne s’améliorera que très légèrement, mais surtout, les calculs effectués ne tiennent pas compte de l’année de cotisation supplémentaire et de rente en moins pour les femmes, de l’augmentation des cotisations durant toute la vie active au 1er et surtout au 2ème pilier. Ils ne chiffrent pas non plus les effets de la baisse du taux de conversion du 2ème pilier ou de l’augmentation de la TVA.
La hausse des cotisations LPP en particulier va venir grever des salaires déjà très bas, ceci pour investir dans un deuxième pilier qui n’arrête pas de diminuer. Ce qui représenterait une véritable avancée, ce serait d’investir ces cotisations non pas dans le 2ème mais dans le 1er pilier. Enfin, il faut savoir que les 70 francs supplémentaires ne bénéficieront qu’aux personnes qui ont cotisé durant 44 ans sans interruption. Ils ne sont donc pas garantis pour tout-e-s.
Le PS affirme que les femmes pourront continuer à partir à la retraite à 64 ans avec la même, si ce n’est une meilleure rente qu’aujourd’hui. Qu’en est-il?
Continuer à partir à 64 ans n’est pas une victoire puisque c’est déjà le cas aujourd’hui. C’est le maintien d’un statut quo, qui n’est pas brillant car les femmes perçoivent des rentes de 37% inférieures à celles des hommes. Si les rentes de certaines femmes s’amélioreront de quelques francs, ce n’est pas un cadeau puisqu’elles devront le payer chèrement, à travers des cotisations augmentées durant toute leur vie active et une année entière de travail supplémentaire. Rappelons que l’élévation de l’âge de la retraite d’une année des femmes ramènera 1.3 milliards d’économies. Si les femmes étaient vraiment gagnantes, les économies du paquet ne se feraient pas sur leur dos!
Ces calculs d’épicier ont surtout un aspect cynique: ils occultent le fait que pour les petits revenus, on parle de rentes (1er et 2ème piliers cumulés) aux alentours de 2000 francs, soit qui sont extrêmement basses et qui le resteront. Les personnes concernées perdront d’ailleurs en prestations complémentaires ce qu’elles « gagnent » en AVS.
Qu’en est-il de l’accès facilité au 2e pilier pour les femmes à temps partiel?
En réalité, le seuil d’entrée au 2ème pilier restera le même, il faudra toujours gagner 21’500 francs annuels pour cotiser au 2ème pilier. Les personnes qui cotisent déjà à l’heure actuelle le feront sur une part plus élevée de leur salaire, mais le montant des cotisations au 2ème pilier grèvera les petits salaires de façon importante. Il y aura une amélioration surtout pour les personnes qui cumulent deux temps partiels, elles pourront alors cotiser sur leurs deux revenus cumulés. Ces cas sont toutefois minoritaires.
On entend souvent à gauche qu’en cas de refus, la situation sera pire…
Si une solution pire, comme la retraite à 67 ans pour tous, devait aboutir au parlement, un référendum serait facilement gagné car la population n’acceptera pas une telle augmentation de l’âge de la retraite. Cela va à l’envers du bon sens puisqu’il est de plus en plus difficile de trouver du travail passé 60 ans. De toute manière, le statut quo est meilleur que PV2020.
Qu’en est-il de l’urgence prétendue à agir?
L’AVS dispose d’un fonds de réserve de 44 milliards et jusqu’à aujourd’hui elle a été bénéficiaire la plupart des années. Les prévisions alarmistes concernant ses finances se sont toujours révélées exagérées. Il y a largement le temps de mettre en place une meilleure réforme. ll est possible que la situation se détériore un peu d’ici 2030 avec l’arrivée à la retraite des baby boomers, mais cette situation pourrait n’être que transitoire. Enfin, soulignons qu’il y a nombre de façons de financer l’AVS. La première serait de payer les femmes correctement, ce qui amènerait automatiquement plus de cotisations. Une taxe sur les dividendes pourrait aussi être envisagée. De manière globale, ce n’est pas qu’il n’y a pas d’argent, c’est simplement une question très politique.
Avez-vous le sentiment que les femmes ont été trahies par les directions socialistes et syndicales?
Trahir n’est pas le bon terme. Personnellement, je n’ai jamais eu l’impression que les femmes étaient la préoccupation principale des directions du PS ou de l’USS. Alain Berset a introduit dès le départ l’augmentation de la retraite des femmes dans son projet de réforme. Je pense que le fait que le projet soit porté par un socialiste a eu une influence néfaste sur la position du PS et de l’USS. Mais il y a aussi un fatalisme impressionnant de la part de la gauche institutionnelle quant à la possibilité d’instaurer un rapport de force en dehors de l’arène parlementaire. Les concessions faites sont de plus en plus gigantesques et les contreparties toujours plus faibles. Cela amène à brouiller complètement les pistes quant aux valeurs défendues par la gauche. Avec PV2020, l’USS s’aligne derrière une augmentation de l’âge de la retraite, ce qui remet en cause l’une des plus importantes revendications syndicales, à savoir la défense d’une baisse du temps de travail.
Quel est votre ultime argument pour convaincre celles et ceux qui n’ont pas encore voté?
A partir de 55-60 ans, beaucoup de gens peinent à retrouver un emploi, on le constate tous les jours. De plus, la pénibilité d’une grande partie des professions pousse les gens à bout. Face à cela, la solution n’est pas du tout d’aller vers une augmentation de l’âge de la retraite, au contraire. Il faut aller vers une diminution du temps de travail et mieux répartir les richesses.