Saint-Luc, dans le Val d’Anniviers: Jérôme Saint-Fleur, journaliste culturel un peu largué, croise la route du guitariste Bob Marques, légende du blues tombée en désuétude. La rencontre va replonger Jérôme dans un passé à la fois personnel et collectif: à travers le personnage de sa mère Luce, Bagnoud solde les comptes des utopies seventies, tire le portrait d’une époque où tout devait changer. Que reste-t-il des rêves enfumés d’alors? L’auteur semble renvoyer dos à dos les traîtres et les naïfs, pareillement coupables de n’avoir pas su se sortir convenablement de cette époque si singulière. Les premiers se sont embourgeoisés: les plus cyniques ont habilement su utiliser leurs convictions d’alors pour faire fructifier leur petite affaire, qu’il s’agisse de s’enrichir ou d’accéder à des responsabilités politiques. Les naïfs, nostalgiques d’utopies désormais déclarées obsolètes, ne trouvent guère mieux grâce aux yeux de Bagnoud, qu’il s’agisse du destin de Luce, aigrie, incapable finalement de vivre dans le présent et en proie à une forme de déchéance physique, ou de ces adeptes d’un quelconque gourou new age, lequel d’ailleurs finira aussi mal que l’époque. Caricatures?
Comme toujours chez Bagnoud, le livre nous parle du Valais, et c’est sans doute l’un de ses points forts. L’auteur sait raconter cette terre de contrastes et de contradictions: se souvient-on par exemple (l’auteur n’en parle pas) que l’un des premiers festivals babacool de Suisse se tint, quatre ans avant le premier Paléo, sur les hauteurs de Saxon, dans la forêt de Sapinhaut? On salue chez Bagnoud ce souci du détail qui va de pair avec l’économie de mots, caractéristique de son style. Et l’auteur sait transmettre cette tendresse critique à l’égard de son canton d’origine, son goût des paysages, son regard sans concessions mais toujours empreint d’une certaine nostalgie des origines. Pour Bagnoud, le Valais est à la fois terre de liberté, d’authenticité (une superbe évocation, très poétique, d’un lever de soleil) et terre de repli en cas de coup dur.
Si Rebelle nous parle d’abord de la «fin des idéologies», le livre aborde également la thématique de l’absence du père, même si on peut regretter ici un certain flou, peut-être volontaire, dans la caractérisation des émotions vécues par Jérôme; la quête semble parfois ne servir que de prétexte à la mise en scène de nombreux personnages, qui tous renvoient aux années septante.
Avec Rebelle, le guitariste Alain Bagnoud propose un roman complexe, sorte de blues littéraire un brin désabusé qui nous parle d’hier, et donc d’aujourd’hui.
Alain Bagnoud, Rebelle, Ed. de l’Aire, 2017, 272 pp.