«Le gouvernement doit enrayer le paramilitarisme»

Colombie • En novembre 2016, des accords paix entre le gouvernement colombien et la guérilla des Farc-ep ont été signés à Bogota. Retour sur ce processus avec le journaliste colombien Eliecer Jimenez Julio.

Une visite du Conseil de sécurité de l’ONU en 2017 à La Reforma, l’une des zones de regroupement des FARC, dans la province du Meta. (photo:UK Mission to the UN/Lorey Campese)

Le processus de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc-ep) aura pris des années. Entre 1998 et 2002, des pourparlers, soutenus par des ONG, des organisations internationales ou des secteurs der la société civile, avaient eu lieu entre la guérilla et le gouvernement d’Andres Pastrana, avec la création de zones démilitarisées notamment à San Vincente del Caguan, pour permettre le déroulement du processus. En février 2002, la procédure s’achevait sur un échec. Il faudra attendre septembre 2012 pour que des négociations reprennent à La Havane entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et l’insurrection. Un accord complet est finalement trouvé le 24 août de l’année dernière, dont la ratification a été soumise au peuple le 2 octobre. Lors de la votation à faible participation (37,28 %), la majorité des votants (50,21%) s’est exprimée contre cette paix. Juan Manuel Santos recevant le prix Nobel de la Paix, un nouvel accord est finalement signé le 24 novembre, au théâtre Colon de Bogota. Réfugié politique et journaliste, membre du Parti communiste colombien (PCC), Eliecer Jimenez Julio évoque les difficultés actuelles de la mise en place de cet accord.

Après des années de pourparlers à Cuba, un accord de paix a été signé entre le gouvernement et la guérilla des Farc-ep. Où en est le processus?
Eliecer Jimenez Julio La situation est assez délicate malgré les accords de paix signés en novembre à Bogota entre le gouvernement et l’insurrection des Farc-ep, notamment en ce qui concerne leur implémentation. La guérilla a déposé toutes ses armes et a concentré ses hommes dans les 28 zones de regroupements, mais celles-ci ne sont pas terminées ni équipées des services minimums. Les conditions de vie sont indignes et inadéquates, pires que celles du temps de la lutte armée.

Le second problème a trait aux prisonniers politiques, en majorité des ex-combattants, qui sont plus de 4’000. Les juges tardent à leur accorder l’amnistie politique à laquelle ils ont droit. Face à cette situation, 2’000 prisonniers ont entamé une grève de la faim à la fin juin, suivie aussi par solidarité par un commandant des Farc-ep, Jesus Santrich.

Le troisième problème concerne les paramilitaires. Tout en prenant possession des anciennes zones de la guérilla, ceux-ci continuent leurs exactions, en déplaçant les populations, en assassinant les opposants. Le 3 juillet, Alberto Roman Acosta, président du syndicat paysan Sintrainagro, a été tué dans la Valle du Cauca, ce qui porte à 160 le nombre d’assassinats politiques depuis la signature des accords de paix. Les populations sont terrorisées et dans le même temps, on ne voit apparaître aucune intention du gouvernement de démobiliser ou de combattre ces groupes, qui agissent en syntonie avec les forces armées. L’impunité est complète.

Le peuple et la guérilla veulent la paix, mais pas celle, sanguinolente, des cimetières. Il apparaît de plus en plus que le gouvernement a voulu désarmer la guérilla pour permettre aux grandes entreprises multinationales de faire leur business en s’appropriant les ressources naturelles. On est loin d’une paix avec justice sociale avec plus de démocratie ou plus de moyens pour l’éducation.

Les accords de paix avaient été refusés en votation, quelle en était la raison?

Lors de la consultation en octobre, l’extrême droite dirigée par l’ancien président de la Colombie, Alvaro Uribe Velez a fait du chantage médiatique, en trompant les gens, en disant que ces accords allaient amener le chavisme ou le communisme en Colombie. Le non l’a finalement emporté de peu, beaucoup de gens s’abstenant. Le parlement, majoritairement proche des positions de l’actuel président Juan Manuel Santos, a finalement ratifié l’accord.

Comment faire alors pour que la paix se concrétise réellement?
Le peuple organisé doit descendre dans la rue pour exiger que le gouvernement respecte ces accords, mais cela n’est pas facile du fait de la peur ambiante et des menaces des paramilitaires. La communauté internationale, que ce soit l’UE ou la Suisse, doivent aussi s’impliquer pour exiger que ces accords soient respectés et bénéficient au peuple et non seulement à l’oligarchie comme cela a été le cas durant les 50 ans de guerre.

Quel doit être le rôle de la gauche dans cette configuration?
En 2018 auront lieu les élections présidentielles. Alvaro Uribe Velez a ouvertement dit qu’il voulait mettre fin aux accords. Face à cette situation, l’Union patriotique, le Parti communiste, le Pôle démocratique et même certains secteurs des Libéraux qui veulent la démocratie exigent que les accords de paix soient respectés. Il est clair pour nous que ces accords ne vont pas amener le socialisme, mais il importe que la paix puisse amener la sécurité des personnes. Elle est aussi une condition pour que cessent la malnutrition, le manque de moyens pour la santé et l’éducation ou la préservation des ressources naturelles face par exemple à l’exploitation minière à large échelle.

Vous avez parlé de zones de regroupement pour les Farc-ep. A quoi servent-elles et plus généralement comment va se passer l’intégration des ex-guérilleros dans la société colombienne?
Ces zones sont des campements qui doivent servir à la réintégration des guérilleros, mais pour cela il faut qu’il y ait des services basiques en eau, électricité ou des moyens sanitaires pour 300 à 400 personnes. Le projet de certains membres des Farc-ep est de développer dans ces zones des projets productifs comme celui d’Ecomun, première coopérative agricole des Farc-ep, ou de favoriser la formation professionnelle et les activités manuelles. A cet effet, le gouvernement, avec des aides financières internationales, a mis en place des bourses pour une année, mais le temps presse, car l’argent va se tarir.

Plus globalement, à l’occasion de leur congrès d’août, les Farc-ep, qui en vertu des accords de paix détiendront 8 sièges assignés dans les deux chambres à l’occasion des prochaines législatives de 2018, ont décidé de se constituer en parti politique légal. Ils cherchent à réaliser un grand front commun de toutes les forces de gauche pour défendre les accords de paix. Ils ne présenteront pas de candidat à la présidentielle, mais appuieront tout candidat crédible pour cette échéance.

Vous dites que les exilés politiques colombiens sont encore aujourd’hui menacés en Europe. Comment cela se passe-t-il ?
Aujourd’hui, les exilés sont littéralement revictimisés en Europe. En 2000, Alvaro Uribe Velez avait lancé le programme Opération Europe, dont le centre était en Italie, avec le concours de la police secrète du DAS (Département administratif de sécurité), contre les réfugiés colombiens ou défenseurs des droits humains. Ces opérations de la main noire de la terreur continuent actuellement avec l’appui des paramilitaires colombiens. Nous sommes suivis et menacés, nos courriers sont interceptés. Depuis l’année dernière, nous avons assisté à une réactivation des sinistres AUC (Autodéfenses unies de Colombie, un groupe paramilitaire) en Espagne, à Madrid et Valence. Deux militants ont ainsi été menacés d’être empalés au nom de «la lutte contre le communisme». L’avocat et membre du PCC, Nelson Restrepo Arango qui, par le passé, a échappé à trois attentats à la bombe à Medellin, a reçu des menaces de mort des AUC via Facebook. Des cas similaires se sont produits en Allemagne et Italie. Nous avons déposé plainte devant les tribunaux espagnols, documenté les cas pour le conseil des droits humains de l’ONU ou l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) basée à Genève. Nous voulons des investigations complètes sur ces menaces qui sont aussi autant de violations de la souveraineté des Etats européens.

Quelle est la donne politique aujourd’hui en Colombie, notamment avec le Pôle démocratique, formation de la gauche sociale démocrate?
Le Pôle, qui avait évincé le PCC du fait de son appui à la Marche patriotique (mouvement social large de tendance communiste), s’est presque désintégré du fait des manœuvres du sénateur Jorge Enrique Robledo. Aujourd’hui, le Pôle se limite à son mouvement de l’Union civique agraire-Moir. Du côté du PCC, nous allons continuer à nous intégrer au nouveau mouvement démocratique de soutien aux accords de paix, tout en continuant les luttes dans rue pour réclamer par la grève et la mobilisation ce que l’on ne peut obtenir d’un parlement, mais pour cela, il faut avoir la certitude de ne pas être assassinés.

Le thème de la corruption par exemple est central. Beaucoup de proches d’Alvaro Uribe Velez sont sous enquête ou même emprisonnés. Santiago Uribe, le frère de l’ancien président, est ainsi sous enquête pour son implication dans la création de forces paramilitaires dans le département d’Antioqua. Face à l’alliance entre Alvaro Uribe Velez, qui pourrait devenir vice-président de la République, et les pastranistes (du nom de l’ancien président conservateur Andres Pastrana) qui cherchent à en finir avec accords de paix, le PCC, qui vient de tenir son congrès, cherche à consolider une unité ample des secteurs de gauche et favorisera un candidat qui défende les accords de paix. Nous continuerons notre lutte sociale de même que nous défendrons la souveraineté nationale contre les bases militaires US dans notre pays.

Nous voulons aussi que le gouvernement respecte la souveraineté du Venezuela, notre voisin. Après les attaques de l’impérialisme nord-américain contre l’Equateur, la Bolivie, le Brésil ou l’Argentine, nous voulons stabiliser les gouvernements démocratiquement élus. Nous voudrions aussi qu’un bilan critique du traité de libre-échange signé entre la Suisse et la Colombie et entré en vigueur en 2011 soit fait du point de vue des travailleurs. Cela pourrait être la tâche des syndicats suisses comme Unia. On voudrait aussi une implication plus grande de la Suisse sur le thème des droits humains dans le cadre de ce traité.