Le 17 mars, le Parlement a enfin mis sous toit la réforme Prévoyance vieillesse 2020 (PV 2020), toute droite issue de rapports d’experts en politique sociale comme celui de Giuliano Bonoli en 2008 ou Philippe Wanner en 2012. Elle comprend un paquet de mesures dans le 1er pilier de l’AVS et la partie obligatoire du 2e pilier. «Le but est d’assurer la stabilité financière du système tout en maintenant le niveau des rentes», assure mielleusement le Conseil fédéral, alors que cette contre-réforme est surtout marquée par des coupes et un prolongement de la durée de cotisations.
Si le PS et les grandes centrales syndicales, au niveau national, soutiennent ce paquet, prévoyant aussi une hausse de 70 francs des rentes AVS pour les nouveaux retraités, des partis à la gauche du PS comme le PST-POP ou SolidaritéS, certaines sections cantonales des syndicats, notamment la CGAS à Genève ou l’Union syndicale vaudoise (USV) et des associations comme l’Avivo (contrairement à Pro senectute) y sont opposés et ont lancé un référendum qui sera déposé début juillet pour un vote le 24 septembre. A droite, si le PDC et les Vert’libéraux acceptent la réforme, le PLR s’y oppose, de même que le comité de l’UDC.
Les femmes passent à la caisse
Quels sont les différents points noirs de cette réforme? La mesure la plus emblématique et critiquée est sans conteste le relèvement de l’âge de la retraite des femmes qui passera de 64 à 65 ans. Ce rallongement de la durée de cotisations permettra d’économiser 1,2 milliard par année dans l’AVS et 50 millions dans les prestations complémentaires, tout en apportant 110 millions supplémentaires à l’assurance, a calculé l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Pour les mouvements féministes qui ont signé un Appel à l’occasion du 14 juin, mais aussi pour des associations comme le Mouvement populaire des familles (MPF), cette manœuvre est inique. «Pour un salaire de 52’000 francs/an, on a une rente de 23’000 francs, donc une femme perdra cette somme entre 64 et 65 ans. Il lui faudrait donc 27 ans avec l’augmentation prévue de 70 francs des rentes pour récupérer ce montant perdu, donc vivre jusqu’à 92 ans, mais 8 femmes sur 10 décèdent avant cet âge», relève le MPF. L’association chiffre aussi à environ 8 milliards les discriminations salariales dans le travail entre hommes et femmes, ce qui fait environ 670 millions de cotisations soustraites à l’AVS. «Combler l’écart salarial aurait non seulement un effet positif pour les femmes, mais également pour les finances de l’AVS, car les femmes verseraient davantage de cotisations», renchérit l’Appel du 14 juin.
A ces discriminations salariales dans la vie active, il faut ajouter celles qui existent au moment de prendre la retraite. En mars 2017, l’OFS relevait ainsi que les rentes de la prévoyance professionnelle (LPP) versées en 2015 pour la première fois atteignaient 3’278 francs par mois en moyenne pour les hommes contre 1’839 francs pour les femmes. Prévoyance 2020 prévoit une ouverture de la couverture d’assurance pour les petits salaires, mais cela ne réduira pas encore suffisamment cet écart de rentes dans les retraites. La ponction sur ces petits revenus représentera en outre «une lourde charge supplémentaire sur des salaires déjà particulièrement faibles de personnes à temps partiel ou à bas revenus», note le syndicat Syndicom Genève, qui, contrairement à sa faîtière nationale, soutient le référendum.
Pour tous, PV 2020 prévoit aussi une flexibilisation de la perception individuelle de la rente AVS et LPP entre 62 et 70 ans. Évidemment, seuls ceux qui auront des bons salaires pourront prendre une retraite anticipée, mais cette mesure laisse subodorer que l’âge du départ à la retraite sera dorénavant largement prolongé.
Un montage financier de haute voltige
Le fourre-tout fiscal et le montage financier pour faire tenir PV 2020 fait aussi partie des points noirs de la réforme. A terme, elle prévoit tout à la fois une augmentation du prélèvement sur les salaires de 0,3% (moitié à la charge des salariés, l’autre moitié à celle des patrons) de 8,4% à 8,7% pour tous les salariés et une hausse de la TVA de 0,6%, ainsi qu’une baisse du taux de conversion du 2e pilier de 6,8% à 6%, à raison de 0,2 point par année. La première mesure doit rapporter 1,5 milliard par année, mais elle va réduire le salaire net pour l’ensemble des salariés. «Cette amélioration se paie cash par l’augmentation immédiate de la cotisation tandis que les avantages pour les futurs retraités mettront du temps à se déployer», estime le MPF.
Objet d’un arrêté fédéral distinct, la hausse de la TVA qui doit faire rentrer 2,1 milliards dans les caisses par année, était obligatoirement soumise au vote populaire ce 24 septembre. Elle ne deviendra effective que si l’harmonisation de l’âge de référence de départ à la retraite à 65 ans des femmes et des hommes est inscrite dans la loi. Pour les référendaires, cette augmentation de l’impôt indirect est difficile à digérer du fait qu’elle va réduire le pouvoir d’achat de la population. «Cette mesure est particulièrement antisociale car cet impôt frappe plus lourdement les plus modestes et augmente linéairement le coût de la vie au moment où les inégalités ne cessent de s’accroître», explique ainsi Syndicom Genève.
Refusée en 2010 par le peuple, la baisse du taux de conversion du deuxième pilier revient sur le tapis. Cette fois-ci, le projet est de réduire de 6,8% à 6% le taux de conversion de la LPP contre 6,4% lors de la dernière votation. Sur un salaire de 100’000 francs, cela veut dire que la rente annuelle assurée passe de 6’800 francs à 6’000 francs. Pilote de la réforme, Alain Berset assure que plusieurs mesures comme l’adaptation de taux de bonification suivant les âges ou l’instauration de subsides pour la génération transitoire devraient amoindrir ces pertes, voir maintenir le niveau des rentes LPP, mais le scepticisme règne du côté des référendaires.
«Avec PV 2020, l’AVS est appelée à être la roue de secours d’un deuxième pilier de plus en plus vacillant et fragilisé par la baisse drastique du taux de conversion», explique une motion adoptée par l’Avivo-Suisse en mai dernier. A terme, et en cas d’acceptation de PV 2020, la «dépolitisation complète du taux de conversion», comme approuvée par le parlement en septembre 2016, pourrait être la règle, comme le relève l’ancien conseiller national PST-POP, Jean Spielmann dans le journal de l’association des retraités. Cela enlèverait donc tout pouvoir au parlement, au Conseil fédéral et au peuple de fixer ce taux pour le laisser aux seuls «spécialistes» que sont les banques, gestionnaires et assureurs.
Un maigre bonus de 70 francs pour les nouveaux retraités
Le seul point positif de la réforme reste donc l’augmentation de 70 francs de l’AVS pour les nouveaux retraités, tant le relèvement du plafond pour les couples mariés de 150 à 155% de la rente vieillesse maximale paraît un minimum. Cette mesure, qui coûtera 1,4 milliard par an doit ainsi compenser la baisse du taux de conversion du 2e pilier, l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans et amadouer l’Union syndicale suisse qui a vu son initiative AVSplus de revalorisation de 10% des retraites échouer en votation le 25 septembre de l’année passée. Elle horripile la droite qui dénonce une politique d’arrosage indistinct.
Cynique en diable, l’UDC met en garde «d’un effet boomerang», qui verrait les retraités perdre des prestations complémentaires (que le parti attaque à Berne) en cas d’augmentation de 70 francs des retraites. «Pour la première fois, une différenciation entre retraités «d’avant» et d’«après» est introduite, donnant un coup de canif au principe d’égalité des assurances sociales», note d’emblée le MPF, qui dénonce l’absence de bonus pour les retraités actuels. «La baisse du taux de conversion fera baisser les rentes du 2e pilier des futurs retraités de 386 francs par mois pour un homme et de 217 francs pour une femme (pour des rentes moyennes)! Les 70 francs ne «compenseront» pas cette baisse et, cerise sur le gâteau, ce montant sera pris dans la caisse de l’AVS», dénonce Jean Spielmann. Bref, ce «cadeau» a tout d’un leurre et PV 2020 d’une réforme en trompe-l’œil.