La résolution adoptée pointe le fait que seule la libre circulation fait régulièrement l’objet de discussions, mais pas le reste des accords bilatéraux. Pouvez-vous expliquer cette critique?
Leonardo Schmid La libre circulation est beaucoup discutée car ses effets sont plus évidents sur la vie des gens. Mais on a tendance à oublier les nombreux autres accords qui définissent, entre autres, la libre circulation des capitaux et des marchandises, soit les principaux piliers du néolibéralisme. De manière globale, tous tendent à imposer le néolibéralisme en faveur des employeurs et du grand capital, en faisant payer les frais aux couches populaires. Après 15 ans de voie bilatérale, on constate l’échec de cette voie qui a fait exploser la précarité. Il ne s’agit cependant pas, comme le fait d’UDC, de dénoncer tous les accords pour se retrouver en autarcie. Nous demandons une renégociation à des conditions favorables pour les travailleurs.
La résolution adoptée affirme que la libre circulation des personnes «n’a pas amélioré mais au contraire aggravé la précarité des permis de séjour et les conditions de travail». Pouvez-vous préciser?
La libre circulation a consacré la fin des permis de saisonniers, ce qui est positif. Ceux-ci ont cependant été remplacés par d’autres statuts tout aussi précaires. Un permis B n’est pas à la portée de tout le monde, car il nécessite d’avoir un contrat à durée indéterminée. Des personnes qui résidaient de longue date en Suisse se voient du reste contraintes de retourner dans leur pays pour avoir dû recourir à l’aide sociale. Avec un contrat de travail de moins d’une année, on obtient un permis L renouvelable maximum deux fois. Les personnes qui viennent travailler en Suisse moins de trois mois doivent simplement être annoncées par leur employeur, sans autre permis nécessaire. Mais concrètement, cela débouche sur des entreprises qui embauchent à répétition pour trois mois ou moins. On observe actuellement une explosion de ce phénomène. Enfin, les frontaliers peuvent dorénavant venir du sud de l’Italie ou du fin fond de la Pologne. On se retrouve ainsi avec des équipes de Polonais payés 2000 francs dans les chantiers. Ils passent la frontière tous les jours ou une fois par semaine mais vivent dans des baraques, ne peuvent pas rentrer chez eux ni amener leur famille, sont mal payés et n’ont aucune garantie d’emploi à long terme… Tous ces nouveaux statuts sont-ils vraiment meilleurs que celui de saisonnier? Cela n’a en tout cas rien à voir avec une vie paisible grâce à la liberté de circuler. En revanche, des chômeurs de toute l’Europe ont accès au marché du travail suisse, ce qui génère une forte concurrence et une pression à la baisse sur les salaires.
Que défend le PST/POP face à ce constat?
Tous les partis de gauche européens sont tombés dans le piège de la libre circulation et ne savent maintenant plus comment s’en sortir. Pour notre part, nous ne défendons pas une politique isolationniste comme l’UDC, mais n’acceptons pas non plus de quémander seulement le renforcement de mesures d’accompagnement qui n’ont jamais fonctionné. Il faut que le Conseil fédéral s’assoie à la table à Bruxelles et renégocie le fond de ces accords.
On en est loin…. le SECO affirmait encore récemment, dans un rapport d’évaluation, que les mesures d’accompagnement «ont fait leurs preuves»
On se fiche de nous depuis longtemps par rapport aux mesures d’accompagnement. Par exemple, la possibilité donnée à l’Etat d’imposer un contrat-type de travail (contrat qui peut être édicté dans les branches où il n’y a pas de convention collective) en cas de sous-enchère abusive et répétée dans une branche n’aide en rien. Tout d’abord, certains de ces contrats fixent un salaire minimum à 3000 francs, ce qui est très bas. Ensuite, il est possible, en vertu de la loi sur le travail, de déroger aux contrats-type sous forme écrite entre employeur et employé, ce qui se fait régulièrement!
Qu’en est-il des contrôles effectués?
Il faut savoir que les possibilités de condamner une entreprise en cas d’infraction sont très restreintes. Ensuite, encore faut-il pouvoir effectuer les contrôles. Récemment, nous avons été confrontés au cas suivant: dans le cadre d’un grand chantier de 4 ans de construction d’un cinéma pour le festival de Locarno, une partie du travail avait été attribué à la filiale tessinoise d’une entreprise italienne. Cette filiale n’a que 5 ouvriers. Plutôt que d’engager des gens sur place, elle a fait venir des travailleurs de la maison-mère italienne, qui touchent 1200 euros en Italie. UNIA s’est donc rendu plusieurs fois sur place pour contrôler leurs conditions de travail. Nous avons constaté que si le chef d’équipe était fixe et en règle, ses aides, engagés pour des tâches simples et répétitives, changeaient pratiquement chaque semaine. Nous n’avons pas réussi à prouver quoique ce soit, alors qu’on sentait bien, notamment de par la peur des travailleurs de s’exprimer, qu’il y avait un problème.
L’UDC et l’ASIN ont d’ores et déjà annoncé le lancement d’une initiative pour dénoncer la libre circulation. Si elle se concrétise et aboutit, comment le Pst/POP se positionnera-t-il?
J’imagine que l’UDC va proposer de réintroduire des contingents. Nous sommes opposés à cela. Il ne s’agit pas pour nous de dénoncer la libre circulation mais plutôt de l’étendre à l’extérieur de l’UE. Elle doit cependant s’accompagner de permis de travail stables. Il faut également réfléchir à la question de la répartition du temps de travail. Nous sommes le pays européen qui connaît le temps de travail le plus élevé. Si on prend l’exemple du canton du Tessin, nous avons calculé qu’en répartissant mieux le total d’heures travaillées, les tessinois aussi bien que les frontaliers pourraient travailler. Cela empêcherait aussi des partis comme l’UDC ou la Lega de jouer sur les divisions entre travailleurs. A mon avis, c’est dans ce sens qu’il faut creuser.
Que répondez-vous au discours dominant qui affirme que la libre circulation a contribué à créer de l’emploi?
Au Tessin, des boîtes ont été ouvertes durant quelques années, avec des emplois payés de 2000 à 3000 francs par mois. Gucci par exemple dispose d’un centre de tri où les employés sont payés des salaires de misère. Si c’est ce type d’emploi que créé la libre circulation, ce n’est pas intéressant…
Concrètement, que faire maintenant? Le rapport de forces n’est pas vraiment favorable…
Pour construire un rapport de force, il faut commencer par clarifier les positions. Nous n’imaginons évidemment pas que le Conseil fédéral va tout de suite prendre en considération nos propositions. Par contre, sur cette base, nous pourrons commencer à thématiser une politique de gauche critique de l’UE, telle qu’elle se développe un peu partout en Europe. Et peut-être ainsi récupérer quantité de personnes qui ont été séduites par les discours d’extrême droite.
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L’USS défend les mesures d’accompagnement tout en reconnaissant leur faiblesse
Début mai le SECO a rendu public le bilan des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes pour 2015-2016. Selon cette instance, qui précise que 42’000 entreprises ont été contrôlées, représentant 164’000 personnes, «les mesures d’accompagnement ont fait leurs preuves en tant qu’instrument de lutte contre les effets indésirables de l’accord sur la libre circulation des personnes sur les conditions de travail et de salaire suisses ».
Réagissant dans un communiqué, l’USS se montre toutefois un peu plus sceptique, relevant que des salaires trop bas ont tout de même été trouvés dans 8000 entreprises. La faîtière ajoute également que les entreprises qui ne sont pas partie à une convention collective ou un contrat-type de travail ne peuvent être punies et sont une majorité (59%) à se moquer des sommations à adapter les salaires qu’elles pratiquent. Dans de tels cas, «la Confédération et les cantons doivent imposer des salaires minimaux obligatoires». Or, «à part les salaires minimaux nationaux de l’économie domestique, cela n’a encore jamais eu lieu dans l’ensemble de la Suisse alémanique», constate l’USS. De fait, des contrats-types de travail édictant un salaire minimal dans de telles circonstances n’existent que dans les cantons du Jura, du Valais et Genève et du Tessin, ces derniers comptant à eux seuls 21 des 24 contrats-types existants.
L’USS appelle enfin à un renforcement des contrôles. En effet, «un employeur suisse n’est aujourd’hui presque jamais contrôlé dans le canton de Zoug et ne l’est que tous les 33 ans dans ceux de Bâle-Campagne, Fribourg et Saint-Gall», souligne-t-elle. La faîtière défend encore différentes autres mesures pour renforcer l’encadrement des entreprises, comme la possibilité pour que les cantons d’ordonner rapidement une suspension des travaux en cas de sous-enchère. Des aménagements dans le cadre de la révision en cours de la législation sur les marchés publics sont également proposés.