Rejoindre le canton du Jura ou rester bernois? C’est la question à laquelle les habitants de Moutier devront répondre le 18 juin prochain. Pour rappel, en 2013, Jura et Jura bernois avaient dû se prononcer sur leur volonté de se rassembler sous la bannière jurassienne. Si les Jurassiens avaient dit oui, le Jura bernois avait en revanche voté son maintien dans le canton de Berne, à l’exception d’une seule commune: Moutier, qui souhaitait rejoindre le Jura à 55%.
A sa demande, la petite ville va donc aujourd’hui se prononcer à nouveau sur son destin, dans ce qui devrait représenter l’un des derniers épisodes de la «question jurassienne». Ironie de l’histoire, celle-ci avait justement commencé à Moutier en 1947, avec la création d’un comité sur l’autonomie jurassienne. Symptôme des nombreuses tensions qui ont marqué l’histoire de la région et de la ville depuis (lire notre article), le scrutin sera placé sous haute surveillance, avec la présence notamment d’observateurs fédéraux et des mesures d’encadrement étroit.
L’hôpital au cœur de la campagne
Les positions dépassent les clivages politiques. Si l’UDC est résolument pro-bernoise et le PDC pro-jurassien, la question jurassienne a divisé libéraux-radicaux et socialistes. Les socialistes pro-bernois sont toutefois très peu nombreux en ville de Moutier, où le Parti socialiste autonome, pro-jurassien, est la première force politique. Bien que les pro-jurassiens soient majoritaires au sein des instances communales, il semble difficile, au vu du résultat de 2013, de prédire la décision du corps électoral, ce qui pousse le suspense à son comble.
Du côté des pro-Bernois, différents arguments sont avancés: la nécessité de rester dans la même entité que le centre urbain de Bienne et dans un canton qui dispose d’une université, de conserver l’unité du Jura bernois, ou encore la menace sur l’hôpital de Moutier, trop proche d’un autre hôpital de soins aigus, celui de Delémont. Alors que la fin de la campagne approche, cette dernière question est même devenue centrale, surtout après que le conseil d’administration de l’hôpital a affirmé à la presse et dans un courrier adressé à ses patients et employés qu’un changement de canton représenterait «un obstacle monumental pour l’avenir de l’hôpital».
La démarche, qualifiée de «chantage sur l’hôpital», n’a pas manqué de provoquer un tollé chez les autonomistes. Les autorités jurassiennes, rassurantes, se sont quant à elles dites prêtes à intégrer le site hospitalier de Moutier à l’Hôpital du Jura et à lui «confier des missions spécifiques de nature à le renforcer», en réexaminant le cas échéant celles attribuées au site de Delémont. La possibilité d’entrer dans l’actionnariat de l’Hôpital du Jura bernois avait également été évoquée, mais Berne a écarté le scénario.
Outre cette question de l’hôpital, l’exécutif jurassien, soutenu par le parlement, a pris, dans un message au corps électoral prévôtois, toute une série d’autres engagements face aux citoyens de Moutier: «L’Etat jurassien garantira un engagement dans son administration aux habitants de Moutier employés, avant le transfert, dans une unité prévôtoise de l’administration cantonale bernoise», affirme-il, annonçant également l’installation à Moutier de certaines unités de l’administration publique jurassienne.
«La ville de Moutier aura, dans le canton du Jura, une position et un rôle respectant son importance démographique, économique et culturelle. Dans le plan directeur cantonal, elle deviendra l’un des pôles urbains au sein desquels il convient de concentrer l’habitat ainsi que les équipements et les activités d’intérêt cantonal. Les politiques cantonales auront pour but d’accroître l’offre de services, de commerces et de loisirs dans la cité prévôtoise», ajoute encore le gouvernement. Les impôts moins élevés ou les prestations sociales avantageuses du Jura figurent également parmi les arguments favorables à une entrée dans le Jura, tout comme un rapport d’expertise indépendant commandé par les deux cantons et la commune, qui appuie la position jurassienne.
«On va accueillir nos frères dignement»
Dans ce scrutin, il n’y a toutefois de loin pas que la raison, mais aussi le cœur, à l’image des mots de Pierre-André Comte, secrétaire général du Mouvement autonomiste jurassien (MAJ) et député socialiste au Parlement jurassien: «On va accueillir nos frères prévôtois dignement, avec des accolades et une place d’honneur préparée exprès pour eux. Ils sont de la famille et on le leur fera sentir. En un rien de temps, ils seront dans le coup et on se chamaillera en chœur dans la plus parfaite bonne humeur».
Dans le cadre d’une réunion à Moutier d’autonomistes et de Jurassiens solidaires, le maire de Porrentruy invitait lui aussi les habitants de la ville à ne pas avoir peur pour l’avenir et à «laisser parler leur cœur». «Si la raison nous montre qu’un départ du canton de Berne est profitable pour notre ville, le cœur aussi nous fera choisir d’être la deuxième ville d’un canton francophone plutôt que l’arrière-cour de la région germanophone de Bienne-Seeland», affirme quant à lui le comité «Moutier, ville jurassienne».
Avec près de 50% de poids électoral de part et d’autre, le suspense demeure toutefois entier.