La démarche de Jean-Pierre Pastori dans Maurice Béjart, l’univers d’un chorégraphe, est originale en ce sens qu’elle ne suit pas l’ordre strictement chronologique d’une carrière mais plutôt les rencontres qui y furent déterminantes. On se rend du reste vite compte qu’elles le furent parce que Béjart était un être d’une richesse culturelle et d’une ouverture hors du commun, nullement l’homme d’un seul art. Donc, par bribes, au travers des différents chapitres qui ont pour titres le nom d’hommes et de femmes que la vie a mis sur le chemin de Béjart, on découvre ce que fut son enfance, ce qu’il a hérité de son milieu familial, ses goûts, puis ses débuts.
De même les ballets qui ont jalonné sa carrière de chorégraphe réapparaissent au gré des parties. Le lecteur a parfois l’impression d’errer un brin et l’on peut regretter qu’il n’y ait pas d’index des œuvres. En revanche, on se passionne à découvrir les multiples facettes de ce personnage fascinant, lequel emprunte son pseudonyme à la femme de Molière, Armande Béjart. Fou de tauromachie, rêvant de devenir chanteur – «mais n’avait pas de voix» -, dévorant tous les livres de la bibliothèque familiale, il commence la danse parce que, enfant chétif, ses parents pensaient qu’il préférerait cela à la gymnastique! Son père, Gaston Berger était professeur de philosophie, une discipline que Béjart abandonne après une demi-licence.
La curiosité toujours en éveil
Les rencontres cruciales dans la vie de Béjart se font par affinités électives et vont dessiner le destin d’un homme dont la curiosité est toujours en éveil, sans cesse relancée au contact de la musique, du théâtre et de danseurs exceptionnels, d’un artiste qui recherche l’adéquation du geste, du mouvement, du corps avec ce qu’il veut exprimer. Ainsi de chapitres en chapitres, il y en a onze, on revit l’intérêt de Béjart pour la musique électroacoustique de Pierre Henry, «ces bruits, ces sons qui appellent d’autres pas», le rôle de Maurice Huisman, directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles qui lui permet vingt ans de réalisations mémorables, dont le Sacre, la Neuvième Symphonie (que Béjart jugera ensuite «horrible»!).
«Je lui dois tout», dira Béjart. Jean Vilar, Maria Casarès, Salvador Dali de même que Léopold Senghor laisseront de même leur empreinte dans ses ballets. La voie pleine d’audaces de Béjart s’écrit aussi avec Germinal Casado et ses scénographies, avec Jorge Donn, puis Gil Roman maintenant directeur du ballet, tous deux des élèves aux caractères point faciles certes, mais des personnalités attachantes qui, tout en étant des interprètes exceptionnels, suscitent les créations.
De multiples danseurs, acteurs, compositeurs rencontrés
Le livre de Pastori est un document précis, multiplie les noms de danseurs, d’acteurs, de compositeurs rencontrés, les titres de ballets, les lieux de créations, fourmille de citations, avec leurs références exactes, de critiques qui encensent ou démolissent l’œuvre de Béjart. Par choix subjectif, explique l’auteur, et pour ne pas multiplier les angles de vue, certains artistes cependant n’ont pas droit à leur titre de chapitre, par exemple Barbara, dont Béjart disait: «elle m’a donné son amitié et c’est avec des amitiés comme la sienne que je vis». On se souvient que sa chaise à bascule, à côté de la copie du fauteuil de Molière, encadrait le cercueil de Béjart lors des obsèques au Métropole en décembre 2007. D’autres noms encore apparaissent ici ou là, Pierre Boulez, Jean-Louis Barrault, Ruggero Raimondi, Ionesco, etc. Bref, c’est tout un siècle et son effervescence artistique qui revivent en ce livre de poche édité aux Presses polytechniques et universitaires romandes dans la collection Le Savoir Suisse.
Jean-Pierre Pastori, Maurice Béjart, l’univers d’un chorégraphe, 2017