La campagne électorale est censée battre son plein dans le canton de Vaud mais il est difficile d’en repérer les enjeux à l’œil nu tellement tout se passe à fleuret moucheté, tout particulièrement entre candidats au Conseil d’Etat. Lors des débats, en règle générale, chacun y va de son couplet bien propre en ordre destiné à ne pas égratigner ses adversaires et à prouver son esprit collégial. Pour l’équipe sortante, c’est si flagrant que fusent même les compliments les uns envers les autres. Il n’y a guère qu’un PLR comme Philippe Leuba pour laisser échapper avec convoitise qu’un changement de majorité permettrait de durcir la politique envers les réfugiés.
Les trois candidats d’Ensemble à Gauche, eux, ne sont pas entrés dans ce jeu et ont asséné des coups bien ciblés comme par exemple contre RIE 3 et la fiscalité généreuse envers les grandes et riches entreprises, l’idéal de la gestion financière de Pascal Broulis. Quant au candidat UDC, il excelle dans son souci de faire oublier ses prises de position de fidèle adepte de l’aile zurichoise de son parti au Conseil national par quelques phrases patelines. Et la candidate socialiste Cesla Amarelle, au caractère pourtant bien trempé, se coule elle aussi dans ce moule gouvernemental.
Le débat anesthésié
L’actuel parlement est d’ailleurs la victime de cette vaudoiserie qu’est le «compromis dynamique», caractéristique gouvernementale. Car une fois les discussions qu’ils prétendent animées au sein du gouvernement, les conseillers d’Etat revêtent le costume de chefs de partis et attendent de «leurs» députés élus au sein du premier pouvoir, le parlement, qu’ils témoignent d’une fidélité lige aux décisions du deuxième pouvoir, l’exécutif. L’UDC se plie même à cette doctrine, tant son envie est grande de participer enfin au Graal que serait à ses yeux un retour au Conseil d’Etat.
Le parlement donne l’impression de ne plus être l’endroit où l’on parle pour devenir celui où l’on s’aligne, en tout cas en majorité. Au point d’ailleurs que le groupe POP solidaritéS s’est fait vertement tancer par le président du Conseil d’Etat pour avoir refusé le système fiscal illustré par RIE 3 alors qu’il soutenait sans faille les avantages sociaux proposés. Mais un paquet, c’est un paquet. On est censé accepter le tout.
Les vertus toxiques des «paquets»
Ce système des paquets a été lui aussi adopté au niveau fédéral, pour les retraites, pour les projets RIE, voire pour l’énergie. En 2007, sous l’aile de Pascal Couchepin, un rapport avait été demandé par l’OFAS au professeur Bonoli de l’IDHEAP afin de préciser quelques stratégies de réformes dans le système des retraites. Le professeur mit en lumière combien les paquets offraient la chance d’obtenir d’importants chambardements. Les auteurs notent que «des réformes fondamentales sont acceptées lorsque l’on combine des mesures d’austérité avec des améliorations pour certains groupes». Cette leçon a été parfaitement comprise tant à Berne qu’en Pays de Vaud. Est ce vraiment ce que souhaite la population? Cette combinaison faite de soi-disant «échanges» qui chloroforment les oppositions, est-ce réellement ce que souhaite le peuple, est-ce réellement un avantage démocratique?
Ce dogme des paquets illustre celui des compromis acceptés par un pragmatisme élevé au stade de vertu au lieu de promouvoir la construction d’un consensus lors de débats. L’élégante salle du bâtiment tout neuf du parlement vaudois retentira-t-elle enfin de vrais débats retrouvés sans stigmatiser ceux qui osent affronter la majorité? Faisons confiance aux électeurs vaudois afin de désigner des députés comme ceux du POP et de solidarités qui, n’ayant pas de fil à la patte, refusent d’être des béni-oui-oui oui.
Pierre-Yves Maillard a cité la personnalité d’Henri Druey lors de son discours d’inauguration du nouveau parlement le 14 avril dernier. Il a bien fait, mais il a paru oublier que ce dernier demandait que les débats du Conseil d’Etat soient rendus publics! Le compromis dynamique n’était pas connu à cette époque.