Qui se souvient des 22 strophes du «bon roi Dagobert» si tant est qu’on les ait jamais sues? On chante moins à l’ère de l’Ipod, pourtant, devenues rondes enfantines, certaines chansons populaires sont toujours fredonnées: «Au clair de la lune», «La mère Michel», «Sur le pont d’Avignon» et quelques autres. Mais sait-on l’histoire de ces chansons qui en disent long sur nos us et coutumes? Textes et mélodies se modifient au gré des peuples et des époques. Leur point commun: les auteurs sont inconnus.
On doit au regretté Henri Cornaz, imprimeur, à sa passion pour la vie musicale de notre pays, d’avoir édité aux éditions de la Thièle qu’il dirigeait deux épais volumes avec la patiente et étonnante récolte de chansons populaires faites par Jacques Urbain, ouvrier-peintre-poète. Celui-ci avait collectionné des milliers de versions, classées par genre. Sorti en 1977-78, cet ouvrage reste une mine de renseignements qu’on lit comme un roman.
Une œuvre collective anonyme
Si elles sont anonymes, les chansons populaires deviennent une œuvre collective, transmise par tradition orale. Mais ne cédons pas à la notion romantique qui voudrait qu’elles soient nées spontanément au sein du peuple. «Il ne viendrait à l’idée d’aucun folkloriste sérieux de contester l’influence directe ou indirecte de la poésie lettrée dans la formation des chants populaires. Il va de soi que cet art naïf, rustique et anonyme a passablement emprunté aux auteurs savants et réciproquement.»
Nos chansons populaires romandes, nous apprend Jacques Urbain, descendent de la tradition orale de France, à laquelle sont affiliées les traditions canadiennes, belges, piémontaises et catalanes. Il en est même, comme «La courte paille» originaire du Poitou et de Bretagne, dont on va trouver des versions scandinaves datant du 16e siècle.
A noter que mélodie et texte ont souvent évolué indépendamment l’un de l’autre et qu’on ne mettra jamais tous les spécialistes d’accord pour dire soit que l’air fait la chanson, soit que le texte est l’élément principal et que la mélodie n’a que fonction de décoration!
Que révèlent ces chansons populaires?
Mais que nous révèlent donc ces chansons? «En arrivant chez nous, nombre de ces chansons venues de France se sont naturalisées, accommodées à nos idées, nos mœurs et nos goûts.» Comme elles l’ont fait partout où elles ont été chantées. Des 17 versions signalées entre le 16e et le 19e siècle de «En passant par la Lorraine», celle que nous connaissons a été publiée en 1934 à l’usage des soldats de Suisse romande, dans un chansonnier militaire préfacé par celui qui deviendra le général Guisan.
Cette chanson «était déjà à la mode au début du règne de François 1er et fait allusion à Anne de Bretagne (1476-1514), duchesse devenue deux fois reine à la suite de ces deux mariages. «Cadet Rousselle» fait allusion à un Jean de Nivelle connu déjà au 12e siècle, docteur en théologie, prédicateur à la cathédrale de Liège, dont on prétend que «son chien s’enfuit quand on l’appelle». Cette chanson, par ailleurs, nous rappelle qu’ici comme dans d’autres textes, tout marche par trois: 3 habits, 3 beaux yeux, 3 cheveux, 3 garçons, 3 gros chiens, 3 chats, etc. Les 22 strophes du «Roi Dagobert» sont sans doute une façon de broder au gré des événements sur un thème, probablement fort ancien. Dagobert était un roi mérovingien de 600 à 639, fondateur de l’Abbaye de St-Denis et Saint Eloi, évêque de Noyon, avait de remarquables qualités d’orfèvre.
Les quelque mille pages des deux volumes de Jacques Urbain ne suffisent pas à raconter la chanson populaire, mais découvrent un pan de ce qui se cache derrière des textes et des mélodies devenues rondes enfantines, chansons de marche ou de garnison.
La Chanson populaire en Suisse Romande, Edition Revue Musicale de Suisse Romande et Editions de la Thièle, Yverdon (CH), 1977 et 1978. Diffusion Payot, Lausanne, 1978.