La gauche radicale écossaise est constituée de divers partis et mouvements, dont le Scottish Socialist Party (indépendantiste) (1) et la section écossaise du Parti communiste britannique (opposée à l’indépendance). Colin Fox, ancien député au Parlement écossais et porte-parole du SSP (2), le parti actuellement le plus important de la gauche radicale écossaise, a répondu à nos questions.
Pouvez-vous nous dire dans quelles circonstances le SSP a été fondé?
Colin Fox Le SSP a commencé à exister sous le nom d’Alliance socialiste écossaise (SSA) en 1997. Il a été fondé par le Militant Labour écossais (tendance de gauche trotskyste du Labour, influente à la fin des années 1970 et durant les années 1980) et divers autres groupes de gauche moins importants issus du Labour et du SNP (nationaliste), ainsi que par des activistes socialistes hors parti rejetant le virage politique à droite du Labour sous Tony Blair. Nous avons travaillé ensemble avec succès dans la campagne contre la Poll Tax (impôt par capitation, chaque personne adulte payant le même montant, ndlr) qui a vaincu Thatcher en 1991 via une campagne organisée de désobéissance civile pour ne pas payer la taxe. La SSA devint SSP durant l’hiver 1998-1999.
Comment le SSP et la gauche radicale écossaise ont-ils évolué durant les années 2000 à 2010?
La gauche socialiste en Ecosse s’est renforcée significativement entre 2000 et 2004. Le SSP par exemple a gagné 6 sièges (sur 129) aux élections parlementaires écossaises de 2003 en obtenant 130’000 voix. C’était une conséquence de l’unification de la gauche socialiste autour du slogan «Pour une Ecosse socialiste indépendante». Nous avions mené le mouvement contre la guerre (en Irak) en 2002-2003 et avons bénéficié de l’effondrement du soutien au New Labour Party de Tony Blair avec son programme de privatisation, sa politique économique néolibérale et son attitude belliciste. Le mouvement anti-guerre n’ayant pu mettre un terme à la guerre en Irak, le succès de la gauche s’est toutefois bientôt mis à diminuer.
Le SSP a subi un revers dévastateur quand notre précédent leader Tommy Sheridan, de manière déraisonnable et déplacée, a décidé de poursuivre en justice un tabloïd inconsistant pour des histoires sur sa vie sexuelle dont nous savions qu’elles étaient vraies. Sa décision a conduit à une regrettable scission du parti et nous avons perdu tous nos sièges au Parlement écossais en 2007. Tommy Sheridan a alors fondé un parti ironiquement appelé Solidarity. Ce dernier n’a pas eu de succès et il est de fait mort après que Sheridan ait été reconnu coupable de parjure et condamné à 3 ans de prison en 2010. Les nationalistes écossais ont été les plus grands bénéficiaires de cette débâcle, alors que le soutien au Labour déclinait.
Quelle est la situation actuelle du SSP et de la gauche radicale écossaise?
La gauche socialiste en Ecosse est aujourd’hui très faible. C’est premièrement le résultat du bas niveau de la conscience et de la combativité de classe. Le nombre de membres des syndicats a par exemple considérablement diminué pendant les 25 dernières années et le niveau des grèves est aussi très bas. Les profondes illusions liées au SNP (Scottish national party, parti de le première ministre Nicola Sturgeon actuellement au pouvoir, ndlr) et dans une moindre mesure au Labour de Corbyn sont les principales raisons du bas niveau du soutien à la gauche socialiste. Mais le SSP reste de loin la plus grande force de la gauche – nous publions un journal bimensuel et maintenons des sections dans toute l’Ecosse – mais nous sommes seuls à le faire.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la Radical Independence Campaign (RIC) (coalition indépendantiste de gauche)?
Le SSP a aidé à la fondation de la RIC en 2012 avec d’autres socialistes indépendantistes hors parti. Les plus grands succès de la RIC ont été ses 3 rassemblements annuels qui ont réuni mille activistes venant de diverses tendances du mouvement indépendantiste: socialistes, nationalistes de gauche, environnementalistes radicaux, syndicalistes, féministes, etc.
Elle a été surtout limitée aux grandes villes d’Ecosse et a aidé à maintenir la pression sur le SNP.
Pouvez-vous aussi nous donner des précisions sur la coalition YES Scotland (coalition favorable à l’indépendance écossaise lors du référendum de 2014)?
YES Scotland a été fondée en juin 2012 par le SNP, le SSP et les Verts. Elle s’est formée d’une certaine manière à partir de la Convention pour l’indépendance écossaise (SIC) qui avait été établie comme un groupe interpartis au Parlement écossais en 2005. YES Scotland a instauré un Conseil consultatif avec des représentants des trois partis et des personnalités connues de tout l’éventail du monde des affaires, du monde éducatif et de la scène culturelle d’Ecosse. J’y ai siégé comme représentant du SSP…
Sa plus grande force cependant était sa présence sur le terrain. En l’espace de deux ans elle a créé une armée de volontaires avec des groupes YES Scotland dans chaque ville et village d’Ecosse. Ce fut peut-être le plus grand mouvement politique que l’Ecosse avait connu en un siècle.
Le SSP y a bénéficié d’un grand respect et nous avons été invités à envoyer des orateurs par exemple dans des parties de l’Ecosse rurales et insulaires qui n’avaient pas connu de cellulles ou d’idées socialistes de façon déclarée pendant 50 ans. Notre vision d’une Ecosse socialiste indépendante, d’une république démocratique moderne, a reçu un accueil chaleureux.
Que faut-il penser du SNP et de son rapport enthousiaste à l’UE?
Après la défaite du référendum de septembre 2014, les illusions liées au SNP ont été énormes. C’est un parti capitaliste néolibéral orthodoxe qui emploie une «rhétorique de gauche» quand elle lui est utile, qui a privatisé les hôpitaux et les services publics et refuse d’augmenter les taxes sur les hauts revenus… Beaucoup, pourtant, qui devraient être plus éclairés, veulent le voir comme un parti «socialiste progressiste». C’est bien sûr un non-sens, mais c’est un non-sens répandu dont les socialistes en Ecosse doivent attendre patiemment qu’il soit levé…. Le capitalisme en Ecosse est plus exploiteur et le SNP préside avec satisfaction ce sytème impitoyable. Il diffère peu idéologiquement du New Labour et, à part sur l’indépendance, leurs différences sont négligeables.
Le SNP a de toutes les façons abandonné l’objectif de l’indépendance, préférant mettre en avant ses intérêts de parti. Comme le Labour avant lui, il a renoncé à son but fondamental au profit d’un opportunisme électoral et de la possibilité de traiter le capital comme les patrons l’estiment nécessaire….
La position du SNP sur l’UE est un non-sens opportuniste. Il n’a pratiquement pas fait campagne pour le maintien lors du référendum sur la sortie de l’UE, jugeant que, comme l’Ecosse allait voter pour le maintien, ce n’était pas nécessaire. Mais durant les 6 derniers mois il a semé de grandes et folles illusions sur l’UE comme un arbitre de tout ce qui est progressiste et juste dans le monde…. Les membres de la classe ouvrière sont beaucoup plus ambivalents concernant l’appartenance à ce club de patrons antidémocratique. L’échec de Nicola Sturgeon (première ministre SNP) à apprécier cette distinction mettra en péril une majorité de oui lors de tout futur référendum sur l’indépendance.
Quelles sont actuellement les principales revendications du SSP?
A terme, une Ecosse républicaine, socialiste et hors de l’OTAN. Dans l’immédiat, un salaire national de 10 livres de l’heure, la propriété publique de notre industrie énergétique et l’introduction de transports publics gratuits dans tout le pays.
Cette chronique fait suite à celle, plus générale, du 1.12.2016.
1) Il y a une longue tradition d’indépendantisme de gauche en Ecosse, représentée notamment par John Maclean (1879-1923), un des leaders des Red Clydesiders (de la région de Glasgow) durant la Première Guerre mondiale, et par le grand poète Hugh MacDiarmid (1892-1978), nationaliste et communiste.
2) Le SSP se dit socialiste conformément à l’usage britannique réservant le terme socialiste à l’anticapitalisme; cette acception du mot socialiste sera adoptée par Colin Fox tout au long de l’interview.