Pour un peu, les 600 ans de Nicolas de Flue, né en 1417 à Flueli en Obwald et mort en 1487, passeraient inaperçus. Et pourtant Nicolas n’est pas seulement le saint patron de la paix mondiale, mais le patron de la Suisse! Un saint œcuménique, disent certains. En effet le réformateur Zwingli fait plusieurs fois référence à lui, comme bien d’autres théologiens protestants qui trouvent en lui un allié.
Karl Barth, au lendemain de sa sanctification en 1947 dira: «Malgré sa canonisation que nous rejetons par principe, le frère Nicolas demeure également notre saint.» Et Georges Méautis, professeur à l’université de Neuchâtel, note en 1940 lors de la première de l’oratorio de Honegger: «Nicolas de Flue rassemblait les différentes confessions et cultures; il est le meilleur moi de la Suisse», ce que rappelle le livret de Denis de Rougemont, qui garde une bonne part d’actualité aujourd’hui encore. A voir l’œuvre que Honegger a écrite sur ce texte si souvent à l’affiche cet automne et l’année prochaine, on se souvient dès lors de Nicolas, celui grâce à qui la Confédération helvétique n’a pas éclaté en 1481.
Paysan, soldat, juge, père de famille, ermite
Nicolas est donc né en 1417 dans une famille paysanne. Il s’engagera dans l’armée, mais abhorre la cruauté de la guerre, abandonne les armes et devient juge, une fonction qu’il quitte outré d’une sentence injuste obtenue par pots-de-vin. Marié, il est père de dix enfants. Pourtant, en 1467, d’entente avec sa femme Dorothée, il décide de se vouer à la prière et de se retirer à Ranft, dans des gorges et non sur l’alpe comme on le croit parfois (c’est le cas de Denis de Rougemont apparemment mal renseigné!), pour y vivre en ermite. Sa réputation de sagesse lui vaut d’être consulté non seulement par les gens du pays mais par les grands de ce monde qui viennent chercher conseil ou solution à leur conflit.
Alors que les confédérés se déchirent à cause de l’or amassé après leurs mémorables victoires militaires lors des guerres de Bourgogne, que certains rêvent de s’enrichir plus encore par de troubles alliances avec des puissances en conflit, un homme se rend chez Nicolas et revient avec un message dont le contenu exact demeure inconnu. On sait que Nicolas était opposé au service mercenaire, soucieux d’un égal partage des richesses acquises, d’une entente entre cantons de villes et cantons ruraux et partisan de l’admission de Soleure et Fribourg.
Grâce à lui la Diète de Stans aboutit à une conciliation qui sauva la Confédération sur le point d’éclater. On a beaucoup écrit, du vrai et du faux, sur la vie et la retraite de celui qu’on appelait Frère Nicolas. Ce qui est certain, c’est que c’était un homme de paix, de conciliation. Il avait fait le parcours inverse d’un Luther, lui qui fut d’abord moine, et n’aurait jamais écrit (de toute façon il ne savait ni lire ni écrire!) en 1525 lors de la révolte des paysans que le réformateur voit se retourner contre ses appuis seigneuriaux:«Abattez-les, égorgez-les, étranglez-les, mieux vaut la mort de tous les paysans que celle des princes et des magistrats.» Nicolas sera canonisé en 1947.
L’oratorio de Honegger au nom de la paix et de la cohésion nationale
Quand, en 1938, le canton de Neuchâtel commande à Denis de Rougemont le texte d’un Festspiei pour l’exposition nationale qui devait se tenir à Zurich l’année suivante, l’idée est d’une part de se réjouir, dans le fol optimisme qui dominait alors, des accords de Munich, d’autre part, «considérant tous les périls qui nous menacent de l’intérieur comme au dehors*», d’encourager la volonté de pacifisme et de cohésion de la Suisse prise entre les puissances étrangères. Denis de Rougemont accepte à condition que ce soit Honegger qui compose la musique. La création devait avoir lieu en septembre 39, mais sera annulée vu la mobilisation générale. On entendra Nicolas de Flue une première fois en concert à Soleure en 1940 et en version scénique dirigée par Charles Faller à Neuchâtel en 1941.
Honegger, pacifiste convaincu, est d’autant plus acquis au sujet qu’il souhaitait, après Jeanne au bûcher et la Danse des morts juste achevée, écrire une œuvre qui pourrait être interprétée par des amateurs, chœurs et corps d’harmonie (donc instruments à vent et percussion) si nombreux dans le pays. Pas de solistes vocaux, mais un récitant, un style simple, un langage direct, un texte compréhensible: «Mon goût et mon effort ont toujours été d’écrire une musique qui soit perceptible pour la grande masse des auditeurs et suffisamment exempte de banalité pour intéresser cependant les mélomanes», écrit Honegger. On a donc une musique populaire certes, mais sans concession, avec des contrastes saisissants entre les passages plus contemplatifs et d’autres d’une vigueur entraînante, les chansons enfantines et les marches guerrières. L’éminent et regretté musicologue Harry Halbreich n’hésite pas à dire que la Marche des ambassadeurs qui ouvre le troisième acte est «la meilleure marche militaire jamais écrite par un compositeur classique». Il existe pour cet oratorio une version avec orchestre, mais on préférera toujours celle pour harmonie!
Un saint œcuménique chanté et célébré dans toute la Suisse
En août de cette année déjà on pouvait entendre l’oratorio de Honegger au Festival de Morat et début novembre les Petits chanteurs de Sion, l’Ensemble vocal de Saint Maurice, le Chœur Chorège, l’Ensemble d’harmonie de la Broye, sous la direction de Pascal Crittin, le donnaient avec grand succès à St-Maurice et à Payerne. Il est à l’affiche par différents chœurs et ensembles avec, à leur tête, Pascal Mayer et le remarquable récitant Eörs Kisfaludy en mars à Montreux, Fribourg et Moutier, en avril au Festival de Pâques de Lucerne.
Par ailleurs, on célébrera par une journée commémorative œcuménique organisée par l’Eglise catholique et les églises protestantes le 1er avril 2017 tout à la fois les 600 ans de Nicolas de Flue et les 500 ans de la Réforme, tandis qu’une cérémonie nationale officielle aura lieu le dimanche 30 avril sur la colline du Landenberg au-dessus de Sarnen, le pays de Nicolas, dont on nous dit qu’elle aura «des accents politiques, historiques et sociaux». A noter que Nicolas de Flue, saint patron mondial de la paix, est fêté en principe le 25 septembre en Suisse et le 21 mars ailleurs. L’année prochaine (dont on voit qu’elle a déjà commencé!) sera ainsi riche en célébrations et…en musique.
* Dernier acte de Nicolas de Flue