Le tabou du clitoris

la chronique féministe • Décidément, les siècles se suivent et se ressemblent. Les livres de biologie ne parlaient pas du corps féminin jusqu’au début du 20éme siècle. Aujourd’hui, on cache le clitoris qu’on ne saurait voir dans les manuels et les cours sur le corps humain: on n’en parle tout simplement pas. Est-ce parce qu’il donne du plaisir gratuitement,...

Décidément, les siècles se suivent et se ressemblent. Les livres de biologie ne parlaient pas du corps féminin jusqu’au début du 20éme siècle. Aujourd’hui, on cache le clitoris qu’on ne saurait voir dans les manuels et les cours sur le corps humain: on n’en parle tout simplement pas. Est-ce parce qu’il donne du plaisir gratuitement, sans but de procréation? Au Moyen-Age, le clitoris n’était pas encore tabou. Les femmes étaient même encouragées par l’Eglise à se masturber pour favoriser la procréation, voire la fidélité… Il fut représenté pour la première fois avec exactitude par le médecin allemand George Ludwig Kobelt en 1844 et occupait plusieurs pages dans les traités d’anatomie.

Mais lorsque les progrès de la technologie mettent en évidence que ces deux actes ne sont pas corrélés, les masques tombent, on crie au scandale: le clitoris ne sert qu’au plaisir ! Il est désormais proscrit par la société bien-pensante et la médecine s’en désintéresse. Sans surprise, les mécanismes de l’érection masculine ont été beaucoup plus étudiés que l’orgasme dit «clitoridien». La principale raison de cette «disparité» provient du fait que la jouissance féminine, à l’origine de nombreux discours misogynes et de clichés sur la femme dont l’hystérie, une maladie entièrement inventée, reste taboue. Rappelons que Freud avait décrété que la sexualité clitoridienne était infantile et que seule comptait de la pénétration vaginale. «Certains disent que le 20ème siècle a été celui de la libération sexuelle, mais c’est faux. Au contraire, il a été marqué par un mouvement de répression sexuelle sans précédent», affirme Jean-Claude Piquard, sexologue clinicien et auteur de La fabuleuse histoire du clitoris, Ed. H&O, 2013.

Odile Fillod, chercheuse indépendante en sociologie et vulgarisation scientifique, a décidé d’agir contre ce tabou et son absence dans les manuels de SVT (Science de la vie et de la terre). Elle a conçu un modèle 3D de clitoris à taille réelle, qui se veut le plus réaliste possible, afin de «montrer concrètement à quoi ressemble cet organe dont l’anatomie est généralement méconnue ou mal comprise». Ce clitoris de forme coudée, fabriqué en plastique biodégradable, donne à voir son gland, et dévoile également ses parties invisibles: un duo de racines encerclant deux bulbes vestibulaires. Une merveille rose qui ressemble à une fleur. On est impressionné par ses profondes racines. Le fichier du modèle 3D est en libre accès sur internet. «Ainsi, les enseignant-e-s de SVT pourront en imprimer un exemplaire et s’en servir à des fins pédagogiques», explique Odile Fillod. Selon elle, ni l’éducation sexuelle telle qu’elle est donnée en France, ni les manuels de SVT n’accordent au clitoris la place qu’il devrait avoir: «Les programmes scolaires ne détaillent que les connaissances relatives à la reproduction, dans laquelle le clitoris n’intervient pas».

Une lacune relevée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport sur l’éducation à la sexualité, paru en juin. Cette initiative inédite s’inscrit dans une démarche qui vise à permettre aux femmes de s’approprier leur corps. «Il n’y a pas deux sexes fondamentalement différents […]. L’homologue féminin du pénis est le clitoris, il a la même origine embryologique, fonctionne de la même manière et joue le même rôle dans le plaisir sexuel, explique Odile Fillod. […] Enfin, la connaissance du clitoris permet d’expliquer pourquoi l’excision est une grave mutilation sexuelle». Le site OMGYes veut démocratiser l’orgasme féminin. Pour ce faire, il s’appuie sur un long travail de recherche. Mille femmes ont été interviewées avant les mille autres qui ont participé à une étude sur le sujet menée par l’université d’Indiana et l’institut Kinsey.

Les créateurs du site en déduisent que les qualités les plus appréciées chez un partenaire sexuel sont davantage l’attention et la communication que la taille de son sexe ou la durée des rapports. Plus d’une femme sur deux (53%, selon certaines études) est clitoridienne et a besoin d’une stimulation de cette zone érogène pour atteindre l’orgasme. Le clitoris est beaucoup plus sensible que le pénis. Il compte 8’000 terminaisons nerveuses, soit deux fois plus que le pénis, qui en compte, en moyenne, 4’000. Sur le site, les créateurs expliquent également les différentes raisons pour lesquelles la masturbation féminine reste encore largement taboue aujourd’hui: la complexité de ce plaisir, le manque de recherches scientifiques sur le sujet, l’absence même d’un vocabulaire précis pour mettre des mots sur chaque sensation. Et quand une chercheuse, comme la gynécologue Odile Buisson, s’y intéresse, elle se voit mettre des bâtons dans les roues. Les médias n’aident pas non plus.

Il n’existe aucune véritable source d’information sur Internet pour le grand public. Et le cinéma standardisé véhicule le cliché d’une sexualité normée où l’orgasme semble systématiquement atteint sans aucun effort. OMGYes participe ainsi de tout un mouvement de réappropriation de leur corps par les femmes, notamment du clitoris, qui n’a été réintroduit qu’à partir de 1998 dans la plupart des manuels d’anatomie. L’artiste conceptuelle Sophia Wallace a permis de médiatiser, en 2013, le sujet avec son projet «Cliteracy», qui avait pour but de tenter d’éduquer les femmes sur le sujet à travers ses œuvres.

En 2011, l’association Osez le féminisme avait lancé une campagne contre le tabou qui entoure l’organe du sexe féminin. Un site internet osezleclito.fr et des affiches «Osez le clitoris» étaient destinés à parler de la sexualité féminine mais aussi à lutter contre sa mutilation dans certaines régions du monde. En mai dernier, le Huffington Post publiait une longue histoire interactive du clitoris. En introduction, le site américain reprenait ces mots de Sophie Wallace: «Le problème, ce n’est pas qu’on ne voit pas le corps de la femme, c’est qu’on ne le connaît pas.» OMGYes espère aujourd’hui faire avancer notre connaissance sur le sujet. Il faut que les femmes se réapproprient leur corps, fassent connaissance avec l’organe magique qui donne tant de plaisir et le partagent avec leur partenaire. Pour le bonheur de toutes et tous. La révolution clitoridienne est en marche! Pour en savoir plus: www.osezleclito.fr