Depuis 2003, Caritas Suisse décerne chaque année en juin un prix qui honore des personnalités pour leur engagement et leur travail dans les domaines de la coopération au développement, de l’entente interculturelle ou dans le secteur social. Cette année, le Prix Caritas va à une pédagogue ougandaise, Alice Achan, qui travaille depuis plus de 15 ans en faveur de l’éducation et de la formation de jeunes filles et de très jeunes mères.
Elle est originaire du nord de l’Ouganda. Durant de longues années, de 1991 à 2006, cette région a été le théâtre d’une guerre entre l’armée ougandaise et l’organisation fondamentaliste Lord’s Resistance Army (LRA), l’Armée de résistance du Seigneur. Les premières victimes de ce mouvement paramilitaire ont été les enfants. Les garçons étaient recrutés de force comme enfants-soldats et les jeunes filles comme esclaves sexuelles pour les commandants de la LRA. Ce groupe rebelle s’est étendu dans le sud du Soudan, au nord-est de la RDC et au sud-est de la Centrafrique dès 2008. Aujourd’hui, la LRA ne serait plus active en Ouganda. Selon l’ONU, elle a fait plus de 100’000 morts et enlevé 60’000 enfants.
Alice Achan avait 12 ans quand la guerre a éclaté. Tous les soirs, elle se cachait dans le bush, mais beaucoup de ses ami-e-s et parents ont été tués. Elle a été le témoin du sort terrible réservé aux jeunes filles kidnappées et réduites en esclavage sexuel, quand elles revenaient de captivité, souvent accompagnées de leur bébé. En plus de leurs traumatismes physiques et psychologiques, elles sont rejetées par leur communauté, privées d’école car déjà mères ou sur le point de le devenir.
A 29 ans, ayant suivi une formation d’assistante sociale, Alice décide de mettre sur pied un centre d’accueil pour ces jeunes victimes. Ce sera la «Girls Academy of Pader», au nord du pays, une école dont les programmes sont compatibles avec ceux de l’école publique. Les jeunes mères peuvent y étudier sans crainte et disposent d’un lieu d’accueil pour leurs enfants. Un autre centre accueille les filles mariées trop tôt et qui deviennent mères dès qu’elles sont adolescentes. Depuis 8 ans, Alice a permis à plus de 2000 jeunes filles de suivre une formation. Lors de la remise du Prix Caritas à Lucerne, la lauréate a expliqué que la pauvreté et le faible niveau d’éducation sont souvent les raisons du mariage forcé des filles: leurs parents espèrent que leur dot viendra compléter le revenu familial. «Très souvent, les jeunes filles sont abandonnées par leur mari lorsqu’elles sont enceintes, et elles sont également exclues de l’école. J’ai au moins réussi à faire en sorte que les jeunes filles enceintes et les très jeunes mères d’Ouganda puissent retourner à l’école.»
Le prix, doté d’une somme de 10’000 francs, va permettre à Alice Achan de poursuivre son œuvre. «L’aspect le plus remarquable de l’engagement d’Alice Achan en faveur de l’éducation des jeunes filles est que ces dernières ne se perçoivent plus comme des objets et qu’elles peuvent devenir des femmes dotées d’une saine conscience d’elles-mêmes. L’éducation est la pierre angulaire d’un développement plus équitable.» a relevé Andrea Broggini, président de l’administration des Fédérations des Coopératives Migros, lors de la cérémonie.
Le viol comme arme de guerre, de tout temps, sous toutes les latitudes, de l’Antiquité (l’enlèvement des Sabines) à nos jours… Une fresque terrifiante du lourd tribut payé par les femmes.
En 2014, des délégations de plus de cent pays, des représentants gouvernementaux, des ONG, religieux, experts militaires et juridiques, associations humanitaires et membres de la société civile, se sont réunis durant 4 jours à Londres, pour un sommet sans précédent sur les violences sexuelles pendant les conflits et l’utilisation du viol comme arme de guerre. Outre les échanges officiels, le sommet proposait tout un programme ouvert au public avec des ateliers, des conférences, des expositions et du cinéma muet pour sensibiliser à un mal souvent dissimulé sous l’horreur de la guerre.
Les chiffres sont accablants. Selon les Nations Unies, 36 femmes et filles sont violées chaque jour en RDC, où l’on estime à plus de 200’000 le nombre de femmes ayant souffert de violences sexuelles depuis 1998. 71 % étaient imputables à des groupes armés non étatiques et 29 % aux forces de sécurité du pays, armée et police. Entre 250’000 et 500’000 femmes ont été violées au cours du génocide du Rwanda de 1994. Plus de 60’000 lors du conflit en Sierra Leone. Et au moins 20’000 pendant le conflit en Bosnie au début des années 1990.
En Afghanistan, on mesure une augmentation de 25 % du nombre des atteintes aux droits des femmes et une progression du nombre de violences sexuelles et de mariages forcés. Ces actes sont le fait de responsables de la police et de l’armée, d’anciens «seigneurs de la guerre», de chefs tribaux et de groupes armés non étatiques. Dans les régions contrôlées par les Talibans, la violence sexuelle ou le meurtre servaient à dissuader les femmes et les filles de participer à la vie publique.
En République Centrafricaine, entre mars et décembre 2013, les violences sexuelles liées aux conflits ont été la caractéristique principale des attaques menées, avec mariages forcés et filles détenues dans des camps militaires pour y servir d’esclaves sexuelles. Le Dr Mukwege a reçu le Prix Sakharov 2014: il répare des milliers de femmes violées durant 20 ans de conflits à l’Est du pays, un des plus pauvres de la planète.
En Bosnie-Herzégovine, bien que les viols systématiques pendant la guerre de 1992 à 1995 aient été reconnus, leurs victimes demeurent stigmatisées et nombre d’entre elles préfèrent se taire. De graves problèmes persistent dans la fourniture de services et l’accès à la justice pour environ 20’000 personnes. Quant aux poursuites des crimes de guerre au niveau national, sur 200 affaires traitées par l’État depuis la fin du conflit, seules 29 comportant des accusations de violence sexuelle ont à ce jour donné lieu à des condamnations.
La liste de ces violences n’est pas exhaustive. On reste pétrifié-e devant tant d’horreurs et leur désespérante répétition. Mais il y a un point dont on parle peu. Comment font ces femmes qui non seulement ont subi des violences sexuelles répétées, mais qui, en plus, ont porté et élèvent un enfant qui en est le sinistre produit? Peut-on embrasser, soigner, aimer un enfant issu de la pire des violences? Et l’enfant né d’un viol, comment peut-il se situer?