L’action se situe au début des années quatre-vingt, quand l’esprit de libéralisme social et sexuel qui a éclos avec les communautés hippies de Haight–Ashbury souffle encore. Personnage aussi cynique qu’attachant, notre Steward mène sa petite vie de jouisseur, il vole de ville en ville sans trop sembler se fatiguer dans son boulot, donne des notes aux femmes qu’il séduit en grand nombre, soigne sa garde-robe et descend bière sur bière avec ses potes. L’insouciance qui a caractérisé cette époque (votre serviteur, trop jeune pour l’avoir connue, ne pouvant s’en tenir qu’aux témoignages) est bien rendue par Naito, avec le souci du détail qu’on lui connaît et qu’il avait déjà manifesté dans son premier roman, Babylone: les trente glorieuses ne sont pas loin, le progrès technologique s’accélère (symbolisé par ce fameux ordinateur qu’utilise le héros pour la première fois), et avec lui la promesse d’un avenir radieux, la prestigieuse compagnie Swissair, véritable fleuron national, poursuit un développement que rien ne semble pouvoir arrêter…
On retrouve dans ce roman la plume particulière de Baptiste Naito, un style simple et très oral, sans réelle prise de risque ni innovation stylistique, que l’auteur met au service de la fluidité du récit: c’est propre et efficace – quasiment suisse-allemand – les presque quatre-cent pages du récit sont rapidement tournées, l’intérêt est présent jusqu’aux dernières lignes. A partir d’une histoire dans laquelle, finalement, il ne se passe pas grand-chose, l’auteur parvient à susciter et maintenir l’intérêt du lecteur par la justesse dans la construction psychologie de son héros, avec ses forces et ses fêlures, par les dialogues souvent teintés d’une bonne couche d’ironie, par ses descriptions précises des lieux, des gens et des ambiances.
Un héros qui se questionne sur les valeurs et son rapport aux autres
Reste la question de la morale de l’histoire: qu’a voulu nous dire Baptiste Naito? Le Patient zéro est construit sur une structure dramatique classique: après une période de jouissance (notamment sexuelle) et d’excessive insouciance arrive une catastrophe qui punit les hommes. Faut-il y voir, comme le suggère le titre de son premier roman, une référence explicite à la Bible? A travers ses romans, Baptiste Naito propose-t-il des réinterprétations contemporaines de certains mythes du livre sacré? Avec Le Patient zéro, Baptiste Naito livre un conte moral, cet aspect étant particulièrement visible dans le dernier quart de l’ouvrage. Malade, le héros se transforme physiquement et à cette déchéance physique correspond une transformation morale, cette fois-ci vers le mieux. A mesure qu’il prend conscience de sa situation, le héros se questionne sur le «vrai» sens de la vie, les valeurs, sur son rapport aux autres, sur le mal qu’il a pu faire autour de lui; il finira même par se réconcilier plus ou moins avec un père distant… On peut regretter ici ce qui s’apparente à un happy-end un peu facile et convenu (le héros qui découvre, dans l’adversité, l’importance d’aimer et de respecter les autres), même si cette fin confère une profondeur supplémentaire au roman.
Je me sers un verre d’eau. Finalement, je ne deviendrai pas acteur. Je ne ferai pas d’études et peu de gens se souviendront de moi. Je ne deviendrai pas célèbre, mais ça ne me touche pas vraiment. Je me serai bien amusé. J’aurai d’avantage profité de la vie que la plupart des gens. J’aurai plus fait en trente ans que les autres en soixante ou septante ans. Je ne me serai jamais ennuyé. J’aurai fait tout ce dont j’aurai eu envie. Je ne changerais pas ma vie contre celle d’un autre.
Avec Le Patient zéro, Baptiste Naito signe un roman très réussi, dans la lignée de Babylone. Il propose une réflexion sur le sens de la vie et les conditions du bonheur qui, sans éviter quelques facilités, ne peut que toucher le lecteur.
Baptiste Naito, Le Patient zéro, Editions de l’Aire, 2015, 396 pp.