Dans le chœur largement consensuel au sein de l’Etat hébreu qui accompagne la politique du gouvernement Netanyahou, notamment dans les territoires occupés, les voix dissidentes en Israël ont du mal à se faire entendre. Né en Biélorussie le danseur et chorégraphe israélien Arkadi Zaides a imaginé un solo néo-documentaire, Archive. Voici l’une des seules démarches performatives et dansées évoquant les violences de l’Occupant. On voit ainsi à l’écran de jeunes colons aux visages recouverts par des vêtements comme reproduisant en miroir les gestes de l’Intifada. Ou des enfants israéliens s’attaquant à des bamboches palestiniennes.
Archive est basé sur des images tournées par des Palestiniens auxquels le Centre d’information israélien pour les Droits de l’Homme dans les territoires occupés, B’Tselem fournit de petites caméras vidéos, tout en leur proposant une formation et de documenter leur vie de tous les jours sous l’occupation en Cisjordanie, à Jérusalem-est, dans la bande de Gaza, à Ramallah et Hébron notamment, où les tensions sont vives et les affrontements monnaie courante.
Chroniques de la violence quotidienne
Le danseur se place entre les images documentaires d’archives et le spectateur. Sur un écran s’affichent les données concernant chaque vidéo tournée. Ainsi, Photograph: Abu ‘Ayeshs. Lieu: Hébron. Date: 03/11/2007. Description: De nombreux colons à l’extérieur d’une maison: ‘Elle est là-haut sur son balcon! Jetez-lui des choses! Dans un premier temps, en posture immobile, Zaides reprend les gestes de violence, les anticipe, les interrompt, les passe en boucle temporelle. Avec lenteur puis au fil d’une vélocité croissante, il est l’enfant lanceur de pierres, le militaire embusqué. De l’accumulation de ces mouvements zappés, fragmentés, surgit une intensité troublante de phrases chorégraphiques mises bout à bout. L’ensemble confine à une transe mémorielle et lassante par la mise en boucle des mouvements en vignettes chorégraphiées.
Elastique, réagissant à des retours d’impulsions externes, Zaides est issu de la Batsheva Company d’Ohad Nahrin. On songe ainsi à Sadeh 21 (Champ 21) signé Nahrin, qui voit des danseurs marcher comme si la fin était derrière eux, dans une sorte de ressassement continu. Le corps se contracte et se dilate, se tord et se disperse ou s’évanouit dans une chute interminable. Archive est une sorte d’étude des possibles chorégraphiques à partir de situations et gestes d’oppression. Il marque par sa gestuelle heurtée et ses poses martiales, belliqueuses.
Un fonds documentaire se métamorphose ainsi en production performative. On peut alors s’interroger sur le fait de réduire à l’état de marionnettes d’un chorégraphe, des corps captés par la vidéo et passer en boucle, sans démêler le propos de l’artiste démiurge de celui des acteurs réels et donner des explications aux uns et aux autres? Ces conditions ne sont-elles pas nécessaires pour que le spectateur puise avoir la liberté de prendre position face à ce qui lui est montré? Certes l’exercice permet de montre ad nauseam l’instauration d’une culture de la violence ancrée dès l’enfance. Mais une approche plus patiente et attentive ne réduisant pas les uns et les autres à des teasers chocs d’états corporels pris dans des situations brutales aurait été sans doute salutaire.
La danse côté guerres
Chorégraphe et performeuse, Eszter Salamon crée depuis 2001 des solos et des pièces de groupe. Souvent conviée dans les musées, elle utilise la chorégraphie comme une pratique mémorielle étendue mêlant plusieurs médias: vidéo, son, musique, texte, voix, mouvement et actions corporelles.
Au fil d’une pièce pour six danseurs en forme de ready-made devenus ici body-made en transformant le matériel chorégraphique originel par sa transmission, Monument O: Hanté par la guerre (1913-2013), elle questionne et subvertit la notion même de monument, de lieu de mémoires et la pratique d’une réécriture de l’Histoire. La chorégraphe a ainsi demandé à ses danseurs de s’inspirer de danses martiales mais aussi de danses tribales et folkloriques (50 chorégraphies), qui ont été ou sont toujours pratiquées dans des pays qui sont ou furent en guerre ces cent dernières années. Les mouvements participent de «la défense, de l’attaque et d’une préparation physique» notamment, selon la chorégraphe. La volonté spéculative de l’artiste est de rapatrier la danse guerrière dans l’histoire, suscitant une forme hybride. Les conflits abordés dénotent une implication explicite des Etats occidentaux.
Essentiellement masculines, les danses martiales sont aussi interrogées pour leur «fonction sociale au sein d’une communauté», favorisant la création d’une «humeur commune » ou préparant les corps au combat. Mais aussi sur la base de sources vidéo, les danses pratiquées après la bataille et célébrant un paysage mouvementiste victorieux ou endeuillé, car rattaché à une défaite. La chorégraphe souligne leurs différentes qualités, de la lenteur retenue à l’agression violente, des variantes rythmiques selon l’énergie du sol accompagnées de percussions corporelles et de chants.
Avec des danseurs en combinaison sensible à la lumière noire rendant fluorescents les blancs qui constellent les habits et visages, Monument 0 mêle le tribal, l’ethnologique et le fantastique. Loin de la chronique historique ou de la réactivation de vécus et expériences reconnaissables, la danse permet alors à la Berlinoise sous la forme de transes et danses de résistance dans la tradition du vaudou de fouiller des histoires refoulées ou tues.
FAR. Nyon, 12 au 22 août. Rens. : www.festival-far.ch