Fin mai, Genève a accueilli la caravane de la Marche mondiale des femmes. A cette occasion, des militantes des quatre coins du globe ont pu débattre de la souveraineté alimentaire, des politiques d’austérité, des migrations, des guerres qui secouent des régions entières, provoquant déracinement, exil, et violences. Les organisatrices de l’atelier «l’Austérité contre les femmes» ont étudié les conséquences pour les femmes qu’ont partout à travers le monde les mesures dictées par l’idéologie du «moins d’Etat» et du «halte aux entraves au commerce». L’atelier était dirigé par Claire Martenot, enseignante genevoise et militante syndicale. Y ont participé la syndicaliste québécoise et cofondatrice de la Marche mondiale des femmes Emilia Castro et la féministe grecque et députée de Syriza Afroditi Stampouli, qui ont décrit la situation dans leurs pays. Catherine Villanueva, une infirmière neuchâteloise qui s’est battue avec ses collègues contre la privatisation de la clinique de La Providence, a également apporté son témoignage émouvant. Des Africaines, Asiatiques et Sud-Américaines ont finalement pris la parole pour faire part de leur étonnement face au constat que l’austérité n’est pas propre aux pays du Sud, mais qu’elle est imposée même aux pays riches du Nord dans le but d’enrichir les plus fortunés.
L’effet «ricochet» d’une femme sur une autre
On s’accorde à dire que les coupes budgétaires frappent en premier lieu les plus vulnérables, donc les femmes. Ayant, en période de plein-emploi, déjà un revenu inférieur à celui des hommes, la récession précipite facilement les mères cheffes de famille, les femmes divorcées ou très âgées dans la pauvreté. Le chômage féminin émeut hélas moins que la perte d’emploi subie par les hommes, et lorsque les emplois se font rares, la tolérance sociale au chômage féminin augmente. Ainsi, la perte de l’indépendance financière des femmes est souvent le prélude à la perte d’autres droits que les femmes ont acquis péniblement par leurs combats sur quatre générations.
Syndicalistes et militantes féministes se sont à plusieurs reprises penchées sur l’emploi féminin et ont mis le doigt sur les facteurs dommageables, à commencer par la ségrégation sexuée de postes de travail, qui augmente l’écart salarial entre hommes et femmes. Les femmes sont majoritairement engagées à des conditions de faible sécurité de l’emploi:temps partiel, intérim, travail sur appel. Elles sont de ce fait plus exposées au risque de chômage. Une étude commandée par l’UE a alerté les députés du Parlement européen dès 2010, que les mesures d’austérité frappent plus durement les femmes, car moins bien couvertes par les systèmes de protection sociale. Mais ni le Conseil ni la Commission européenne n’ont fait quelque chose pour y remédier.
La politique d’austérité pratiquée en Europe, où les femmes constituent les deux tiers du personnel travaillant dans l’éducation, la santé et le social, a porté un coup dur à l’emploi féminin. Les femmes qui ont échappé aux licenciements ont subi une diminution de prestations salariales, tout en devant affronter une surcharge de travail et le mécontentement des usagers dans des services dotés de moyens de plus en plus misérables. Les employées bancaires ont aussi été touchées suite à la fusion d’établissements et à l’«externalisation» de certaines activités. Par ricochet, des travailleuses immigrées ont perdu leur travail de nounou ou de femme de ménage, leurs employeuses devenues chômeuses ne pouvant plus les rémunérer.
Elles effectuent «gracieusement» le travail de l’Etat
Dans leur frénésie d’austérité, les dirigeants européens réduisent drastiquement les dépenses pour les services publics (garde des enfants, prise en charge de convalescents ou de personnes âgées) en les supprimant, en les privatisant et en transmettant la charge aux usagers. Juste après son élection en 2011, le conservateur espagnol Rajoy a annoncé un programme de «prise en charge de personnes dépendantes», qui prive du droit à l’assistance les 250’000 bénéficiaires inscrits ainsi que tous ceux qui pourraient en bénéficier dans l’avenir. Le travail jadis accompli par les services de l’État est dorénavant fourni «gracieusement» par les femmes de la famille. Devant la difficulté de concilier ces tâches avec une activité professionnelle, elles réduisent le taux d’activité ou l’abandonnent complètement; ceci d’autant plus que le revenu de l’activité professionnelle de l’épouse est anéanti par une fiscalité défavorable aux couples.
Inégales devant le chômage, lésées à l’âge de la retraite
Plus souvent et plus longtemps au chômage, et devant souvent interrompre le travail et la formation pour la maternité, les femmes sont moins bien insérées dans le monde du travail. Arrivées à l’âge de la retraite, elles ne remplissent souvent pas les conditions donnant droit à une retraite équitable. En Italie, en Autriche et au Royaume-Uni, on a gommé le petit privilège des femmes de prendre leur retraite un peu plus tôt que les hommes, en reconnaissance sociale du travail non rémunéré accompli au foyer. Partout, on aligne l’âge de la retraite des femmes sur celui des hommes et, en parallèle, on augmente le nombre d’années de cotisation nécessaires pour avoir droit à la rente. Alors qu’il aurait été judicieux, sur fond de crise et d’explosion du chômage, d’abaisser l’âge de la retraite pour permettre à des jeunes et à des chômeuses de longue durée de trouver un emploi en remplaçant les titulaires parties à la retraite.
Profitant de la crise sociale, l’Église revient en force et les milieux cléricaux mettent leur grain de sel partout, à commencer par le déni du droit à une IVG et aux maternités choisies. En Hongrie, l’Église catholique a réussi à faire inscrire dans la constitution la «protection du droit à la vie»; avec les protestants, elle va gérer 20% des établissements scolaires. Et tant qu’on y est, pourquoi pas des hôpitaux confessionnels, à la tête desquels des ecclésiastiques prescrivent aux médecins les traitements à appliquer?
Québec, une crise financière provoquée
L’intervention de Amelia Castro a été des plus édifiantes: elle a analysé comment un gouvernement opère au service des possédants. Par ses choix politiques «d’économies», le gouvernement du Québec prospère alors, a provoqué une crise financière et institutionnelle, qui a fourni le prétexte à la suppression des acquis sociaux gagnés péniblement par la population. Au nom de sa politique de rigueur budgétaire, il s’est attaqué au réseau de service de garde des enfants, qui avait été développé dans les années 1970-1980 et avait rendu possible une arrivée massive de femmes sur le marché du travail. Actuellement, bien que les comptes soient excédentaires, le gouvernement poursuit sa réforme du système de santé et des services sociaux, rendant leur accès plus difficile. Le chômage féminin et le risque d’être renvoyées aux fourneaux augmentent. Devant la perte d’acquis, que cela soit au Nord ou au Sud, Amelia Castro en appelle à la solidarité internationale pour renverser la tendance.