Avec la récente transition publique de Caitlyn Jenner, femme trans américaine connue auparavant pour ses exploits en athlétisme, le débat sur l’identité féminine fait rage, principalement entre féministes radicales et femmes trans, ces dernières accusées de vouloir redéfinir cette identité pour tout le monde. Évidemment, en féminisme, la notion de femme est centrale. Ça a l’air simple, et pourtant cela ne l’est pas. En fait, qu’est-ce qui fait une femme? Selon la définition du Larousse, une femme est un «être humain du sexe féminin». Le mot «féminin» est quant à lui définit de la façon suivante: «propre à la femme, qui a rapport à la femme».
La question comporte plusieurs aspects, et la discussion se concentre essentiellement sur la biologie, l’identité de genre, et l’expression de genre. Les définitions se basant sur la biologie sont nombreuses. On différencie entre homme et femme en se basant sur l’appareil reproducteur interne, l’apparence des parties génitales, la silhouette dont la poitrine et les hanches, la pilosité, la musculature, l’ossature, le timbre de la voix, les chromosomes sexuels (XX), les niveaux hormonaux (testostérone, œstrogènes), etc. Le problème de cette approche est que pour toute caractéristique dite féminine, il y a des exceptions. Aucune définition basée sur un aspect biologique spécifique n’englobera toutes les femmes. La reproduction reste une référence centrale dans la féminité, avec les règles, la grossesse, mais une femme stérile est une femme, tout comme une femme ménopausée reste une femme. Ces aspects ne sont ni exclusifs ni nécessaires pour être une femme dans le sens entendu du terme. De plus, tous ces traits évoluent au cours de la vie, existent dans une continuité, ont des limites ambiguës entre masculinité et féminité, et sont modifiables – même les chromosomes: une greffe de moelle osseuse, tout comme l’expérience de la grossesse, peuvent donner un second jeu de chromosomes à une personne. On sait que la plupart des femmes auront certains traits plus marqués, et que la plupart des hommes certains autres. Mais même si statistiquement les hommes ont plus de force dans les bras, il y a des femmes avec plus de force que la plupart des hommes, et des hommes avec moins de force que la plupart des femmes. La détermination biologique du sexe n’est ni simple ni sans risque d’erreur.
L’identité de genre part, elle, de l’auto-détermination: une femme est une femme parce qu’elle se ressent comme telle, un homme est un homme parce qu’il se ressent comme tel, indépendamment de la morphologie. Cela peut paraître simpliste. Mais c’est plus compliqué, car le cerveau reste un organe biologique. Une personne trans peut percevoir un décalage physique entre ce que le corps exprime et ce que le cerveau s’attend à avoir. Une personne intersexe à laquelle on a assigné le mauvais genre à la naissance saura qu’il y a quelque chose qui ne colle pas. C’est la raison pour laquelle beaucoup effectuent une transition physique, notamment par hormonothérapie, pour faire correspondre le plus de caractéristiques au sexe attendu. Aussi, tout le monde ne se retrouve pas à l’aise avec la binarité homme – femme et la permanence du genre. Il existe toute une variété de genres qui sortent de ce cadre, naviguent entre les rôles, voire refusent toute assignation, tels que bigenre, agenre, genderqueer, genderfluid, neutrois, etc.
Une personne trans a une identité de genre différente de celle qui lui a été assignée à la naissance, et effectuera souvent une transition pour faire correspondre ses traits et son expression de genre à son identité. L’expression de genre est le dernier aspect par lequel nous sommes assigné-e-s homme ou femme. L’habillement, la posture, le maquillage, la coiffure, sont des indications visuelles, et les étiquettes telles que le prénom et le titre permettent d’informer sur le genre social d’une personne. Cette désignation s’inscrit dans un contexte culturel. Les drag-queens et drag-kings jouent de ces marqueurs, les exagérant à l’extrême pour le spectacle, toute comme les personnes travesties utilisent une expression différente de leur sexe légal (qu’elle corresponde à leur identité ou non) – l’expression de genre est particulièrement volatile.
Mais alors, qu’est-ce qui défini une femme? Dès la naissance, on assigne un sexe aux nouveau-nés, une identité de genre correspondant à ce sexe, et est attendu une expression de genre alignée. Cette assignation est purement visuelle, et répond à des impératifs sociaux et non biologiques. Pas de test génétique, pas de contrôle hormonal, seule l’apparence des parties génitales compte, et les nouveau-nés sortant du cadre rigide homme-femme (intersexes ou non) sont mutilé-e-s chirurgicalement pour correspondre à un sexe légal, qui informera la socialisation, dépendante du contexte culturel et social, et donc le genre social. Ce processus ne s’arrête pas là. Tout au cours de la vie, la personne est assumée d’un sexe masculin ou féminin en fonction d’une combinaison variable de ses caractéristiques morphologiques, de son expression de genre, mais surtout en fonction de la personne qui effectue cette désignation, et des idées qu’elle a, informée par son origine et sa classe, de ce qu’est une femme. Cette assignation est renouvelée à tout instant: au guichet de la poste, au téléphone, dans la rue, et est communiquée par l’application d’un titre (Madame, Monsieur) lorsque l’on s’adresse à la personne – pas tant une formule de politesse qu’un marquage comme faisant partie d’une classe sociale spécifique.
On est femme parce que l’on n’est pas homme. Une femme n’est pas tant un concept unique regroupant des personnes ayant des caractéristiques communes qu’une désignation arbitraire, variable, comme autre de la moitié de la population humaine. Toute personne assignée femme subit des discriminations basées sur des caractéristiques supposées (physiologiques, sociales, mentales) et le rôle social et culturel associé à la féminité (la reproduction et l’organisation du foyer familial), indépendamment de ses souhaits ou de sa capacité à remplir un tel rôle. Dans la lutte pour l’égalité et la fin des systèmes patriarcaux, il est nécessaire de ne pas s’aliéner une partie de la population étiquetée comme femme. Les personnes travesties de tout sexe, les hommes trans (assignés femmes à la naissance mais d’identité masculine), les femmes trans (assignées hommes à la naissance mais d’identité féminine), les personnes intersexes féminines ou non, les personnes non-binaires, toutes et tous subissent le sexisme et ont leur place dans le féminisme.