« Schreib mir das Lied vom Tod » de la metteure en scène suisso-étasunienne, oeuvre sensorielle donnée en création à
Genève au festival pluridisciplinaire La Bâtie, fait son miel du monde archétypal et immémorial des contes.
Pour Schreib mir das Lied vom
Tod (« Ecris-moi le chant de
mort »), la metteure en scène
Maya Bösch choisit de lier musicalement
et plastiquement deux univers
rattachés au conte avec ses figures
archétypales : la forêt, la perte, la
bataille, le deuil. L’un est filmique,
c’est le western opéra pasolinien Il
était une fois dans l’Ouest. Donc une
danse de mort jouée par des morts
vivants ou des vivants en sursis dans
une société qui n’est plus la leur et où
le cow-boy a laissé la place à l’ouvrier
exploité. La mise en espace visuelle et
sonore a surtout retenu de ce film
culte sa musique sérielle d’harmonica
tissée d’échos et de réverbérations
signée Ennio Morricone. Entre deux
immenses bandes barrant le front de
scène et évoquant la panavision et le
cinémascope, cette ritournelle lancinante
est réinterprétée ici live à la guitare
ouatée, stratosphérique, façon
Neil Young pour l’arrivée du train
dans Dead Man de Jarmusch. Elle est
bien la signature spatiale du vengeur
solitaire incarné par Charles Bronson
dans le film de Sergio Leone. « Le titre
allemand du film Spiel mir est devenu
Schreib. Si la mort est omniprésente
dans le long-métrage, la disparition
emblématique du héros à l’harmonica
se déroule à son terme éclairant sa
motivation et le fait que les hommes
s’y retrouvent pour se regarder intensément,
se chercher et s’entre-tuer »,
relève Maya Bösch. La réalisation scénique
a retenu du titre du film le fait
qu’il donne les événements comme
irréels, puisque, dans le conte, le « Il
était une fois » place les événements
relatés en dehors de toute actualité et
d’assimilation réaliste.
L’autre matériau de la pièce est
Héraclès II ou l’hydre, une réflexion
du dramaturge marxiste Heiner Müller
sur le héros révolutionnaire avec le
monstre de l’hydre qui rend compte
de la lente mutation de l’ennemi extérieur
en ennemi intérieur intime. Un
homme s’enfonce dans une forêt qui
se referme sur lui en le broyant, se
révélant in fine être le monstre,
l’hydre. Sans emphase ni violence
intempestive, l’acteur Fred Jacot-
Guillarmod, plus Allen Ginsberg halluciné
que jamais, tourne lentement
sur lui-même avec son disque solaire
et bouclier réfléchissant rapatriant de
loin en loin une scène de Rashômon
et le côté pirandellien de l’histoire (« à
chacun sa vérité »). Par son traitement,
le film d’Akira Kurosawa, bouscule
et révolutionne pas mal de codes
du cinéma près de vingt ans avant le
film de Léone. Le tout emballé dans
un espace pictural qui doit beaucoup
aux monochromes lumineux d’un
James Turrell, surfaces de pure sensibilité
ne proposant pas de contenus
narratifs.
Partie d’une écriture de plateau
mixant différents éléments, sans se
préoccuper de faire sens déchiffrable
par le plus grand nombre, la pièce est
une « oeuvre d’art totale » empreinte de
ce calme ouaté qui, dans un premier
temps, rassure. Puis étouffe comme
dans le remarquable Médée de Müller
monté par Marc Liebens au Théâtre
du Grütli (2009) et dont la scénographie
s’inspirait de grands peintres
abstraits et du plasticien Boltanski.
« Le spectacle développe des paysages
sonores en sculptant un espace par
un travail sur le champ de profondeur
et le travelling. D’où le désir de créer
une forme de paysage onirique de
l’au-delà, cryptique », détaille la metteure
en scène. Qui ajoute : « Il y a
aussi les ondes Martenot distillées par
l’ondéa, instrument de musique électronique,
sorte de thérémine à ondulations
sonores qui s’immiscent,
venant d’on ne sait où et proposées
par la musicienne française Christine
Ott qui a collaboré avec Radiohead et
Yann Tiersen. »
Vêtue d’une combinaison jaune
scintillante à bandes noires rapatriant
la silhouette costumière de vengeresse
solitaire d’outre-tombe de Kill Bill,
film signé Tarantino, la danseuse et
performeuse Marcela San Pedro est
peut-être l’hydre de la fable. Le visage
marqué de larmes stylisées bleues
comme dans la mire d’un sniper, la
danseuse déchire, vent furieux, une
partie de l’espace scénique devenu ses
propres tentacules dans lesquelles elle
se roule furieusement. Sa danse est
aussi celle d’un cadavre exquis surréaliste
de ses principales influences chorégraphiques.
Soit la virevoltante et
circassienne mécanique du Français
Frank Micheletti transformant le plateau
en champ magnétique d’art martial
partagé entre suspension, fluidité
et roulades sur soi. Et l’Allemande
Pina Bausch, son archétype féminin
tourmenté, défait et halluciné, laissé
sur le rivage des jambes vibratiles de
San Pedro montées sur hauts talons.
Schreib mir das Lied vom Tod à La Bâtie, du 9
au 13 septembre, rens. sur www.labatie.ch