La culture de qualité et qui dérange devrait aussi avoir une place sur la TSR.
Le responsable de la rédaction culturelle de la Radio Télévision Suisse, Alexandre Barrelet, s’est exprimé il y a quelque temps dans les pages du Courrier sur la place que pouvait, selon lui, occuper la culture sur les écrans de la télévision, à l’occasion du lancement de la nouvelle émission « La Puce à l’oreille ».
Alexandre Barrelet vient de la direction d’Espace 2, chaîne culturelle de la radio romande, laquelle, comme la Première bien souvent du reste, donne un exemple tout à fait respectable dans le rapport à la culture au sens large : sciences, histoire, littérature, cinéma, théâtre, chanson, musique… Notre déception est donc grande de le voir tenir des propos restrictifs qui « habillent » de justifications sur l’essence du média la propension depuis trop longtemps à l’œuvre à la TSR de déserter ce secteur de la vie sociale et de la vie publique en faisant fonds sur des « concepts » aussi vagues et attrape-tout que la « proximité » ou « l’interactivité ».
« Historiquement, dit Barrelet, la télévision est un média généraliste qui couvre aussi bien l’info que le sport, les variétés, etc. » On ne peut qu’être d’accord avec lui et reconnaître là un trait qui n’est en rien spécifique à la télévision : la presse quotidienne et la radio le partagent amplement avec elle. Comment dès lors exclure la culture de ce « général » ? En en faisant l’apanage d’une spécialisation. Espace 2, dit-il en effet, est « spécialement dédié » à la culture ce qui crée une « différence structurelle » avec la télé. Car celle-ci « n’est pas un média pointu », elle doit être consensuelle et ne peut donc appréhender le domaine culturel dont « la matière rassemble autant qu’elle divise » : le culturel rend « impossible de fédérer une majorité d’auditeurs et de téléspectateurs. » D’où l’obligation d’en passer par l’affadissement des sujets, l’exclusion des « spécialistes », la crainte du « verbe »…
Qui veut noyer son chien…
« Il me semble un peu vain de poser une caméra face à quelqu’un qui parle pendant 5 minutes », dit encore Alexandre Barrelet. Pourtant s’il voulait bien se rappeler ce qui a pu se faire à la télévision romande (et ailleurs dans le monde) il y a plusieurs décennies, il comprendrait que ses arguments ne tiennent pas la route. Ce n’est pas 5 minutes que parlait, dans les années 60-70, Henri Guillemin mais trente ! Et son émission (qui avait connu de belles heures radiophoniques auparavant) était très suivie, elle passionnait. Comme sans doute nombreux furent les téléspectateurs qui suivirent le discours de plus de 5 minutes de Barak Obama lors de sa prise de fonction. On voit bien par conséquent que l’argument du « verbal » (certes qui ne doit pas être du « verbeux ») n’en est pas un. A revoir aujourd’hui, fût-ce les émissions de Christian Defaye sur le cinéma, la durée des entretiens qu’il tenait avec des cinéastes comme Pialat ou Godard, on se prend à rêver à ce que pourrait faire la télévision romande aujourd’hui au lieu de se cacher derrière des justifications de circonstance.
Voici quelques années que les études historiques sur la télévision se développent qui font apparaître ce que furent les années de mise en place de ce média, quels hommes de culture, justement, présidèrent à des débuts difficiles, sans les moyens actuels, où l’on parvenait pourtant à conjuguer « Lecture pour tous » (soulignons-le « pour tous » qui ne vise en rien le particulier, le « pointu »), « Au théâtre ce soir » et les matches de catch ou de tennis ! Il ne s’agit évidemment pas de reconduire une époque passée mais de ne pas l’occulter.
Diffuser le savoir et éduquer
Il y a encore dans ce pays des hommes et des femmes qui furent les protagonistes de ces temps où la télé se donnait aussi la tâche de diffuser la culture et le savoir, d’éduquer le goût et pas seulement de divertir en recherchant un consensus qu’elle construit. Ils s’appellent ou s’appelaient René Schenker, Claude Goretta, Michel Soutter, Freddy Buache, Robert Gerbex, Claude Torracinta, etc. Un temps, que les analystes de cette histoire, appellent le « moment expérimental » de la télé où l’on ne craignait pas d’inventer des formules neuves mais exigeantes. D’ordinaire les expériences « pointues » en sciences, en médecine, en technique sont le prélude à une généralisation. La télévision nous offrirait-elle le contre-exemple d’une institution amnésique ?