Pour une fois, je vais vous raconter une histoire de sexisme qui finit bien! J’en ai entendu parler lors de la revue de la presse de France Inter, vendredi 21 mai, puis sur F5 le même jour. Mais, sauf erreur de ma part, les médias suisses n’ont pas traité le sujet.
«Françoise Brougher, dans le monde splendide de la Silicon Valley, s’est retrouvée héroïne de la cause des femmes», écrit Anais Moutot dans le magazine Les Echos du week-end (20.5). Françoise Brougher est française, de Marseille, que les hasards de la mondialisation, ont portée en Amérique, où elle a fondé une famille et pris la vague des «dot com», l’économie d’Internet, où elle a fait merveille chez Google et Square.
A Google, où elle a été nommée vice-présidente 18 mois après son arrivée, Françoise Brougher a dirigé 6000 personnes et fait grimper les ventes en ligne de 8 à 16 milliards de dollars en quatre ans. Chez Square, la pépite du paiement de Jack Dorsey, le patron de Twitter, elle a mené l’entreprise en Bourse en 2015, après avoir «accéléré la commercialisation et l’internationalisation, avec l’ouverture de plusieurs nouveaux marchés», raconte Naeem Ishaq, ex-directeur finance et stratégie de la fintech.
Forte de son expérience, cette Franco-Américaine, aujourd’hui âgée de 55 ans, était persuadée que le plafond de verre était brisé: son genre n’était pas un sujet.
En mars 2018, après avoir été courtisée pendant des semaines par Pinterest (site web américain lancé en 2010, mélangeant les concepts de réseautage social et de partage de photographies), elle accepte la place de numéro 2 qu’on lui offre: directrice opérationnelle d’un moteur de recherche d’images, qui veut muscler ses recettes et entrer en bourse. C’est son métier.
Mais là, quelque chose de subtil et violent se passe, un boys club, comme on dit là-bas: le PDG Ben Silberman prend des décisions en petit comité, avec quelques copains qui se ressemblent et lui ressemblent. Françoise ne peut pas en être, elle voudrait réveiller l’entreprise dans la transparence et la confrontation, dont elle a fait sa marque chez Google et Square. Mais ça ne passe pas, on la marginalise, on ne l’invite plus aux conseils d’administration, on lui dit qu’elle parle trop, qu’elle est trop agressive. Françoise découvre – elle n’y avait jamais pensé – ce que les féministes décrivent depuis longtemps: les biais de genre, ce que les boys reprochent aux femmes quand ils se sentent menacés. En avril 2020, Françoise Brougher est licenciée d’un coup de téléphone de Ben Silberman. «Ça a duré dix minutes. Il m’a dit que ça le rendait triste de faire ça à quelqu’un de si logique, mais que j’avais de mauvaises relations ‘cross fonctionnelles’. Puis il m’a envoyée vers les RH comme si j’étais une stagiaire.»
Mais Françoise Brougher a des moyens – elle est devenue multimillionnaire – et connaît les codes. Elle prend un avocat, très cher, raconte ses mésaventures sur le blog Medium, deux cadres afro-américaines maltraitées chez Pinterest arrivent en renfort, un groupe d’actionnaires porte plainte contre le PDG… Alors, terrassé par l’opinion, Pinterest s’est soumis à un audit, a nommé des femmes de couleur dans son conseil d’administration, et a donné à Françoise Brougher 22 millions et demi de dollars, la somme la plus élevée accordée dans une affaire de discrimination. 10% de cette somme seront versés à des organisations militantes. Françoise Brougher parle aux Echos, ce qui est rare. D’habitude, les femmes top gun indemnisées se taisent, de peur que l’histoire de leur discrimination n’entache leur CV.
L’ex-directrice opérationnelle affirme qu’avoir dénoncé de multiples comportements sexistes dans l’entreprise est la cause de son licenciement. Elle explique avoir été mise à l’écart de réunions importantes, reçu plusieurs commentaires désobligeants et avoir été payée moins que ses pairs masculins. «Lorsque les hommes s’expriment, ils sont récompensés. Lorsque les femmes s’expriment, elles sont renvoyées», déclare-t-elle. Un comble pour une application dont 71% des utilisateurs.trices sont des femmes. Deux mois plus tôt, deux employées afro-américaines avaient déjà claqué la porte de l’entreprise pour des raisons similaires, auxquelles s’ajoutaient des remarques récurrentes liées à leur couleur de peau. Parallèlement, Pinterest doit répondre aux critiques de ses modérateurs, qui signalent un suivi psychologique minimal, alors qu’ils se battent pour retirer les images pédopornographiques de la plateforme.
«Quand Françoise est arrivée, on a pensé qu’elle allait régler les problèmes de culture de l’entreprise, où il y avait depuis longtemps des difficultés d’interaction entre équipes. J’étais déçue car rien ne s’est passé, mais en lisant son texte, j’ai compris qu’elle avait été bloquée à toutes les intersections», raconte Nichol Riccardello, spécialiste technique, qui a démissionné de Pinterest en octobre 2019.
«Je m’exprime parce que je veux participer au démantèlement des systèmes de préjugés sexistes qui punissent les femmes pour le leadership, récompensé chez les hommes, et qui entravent la capacité des dirigeantes à réussir», a-t-elle déclaré.
L’affaire a fait grand bruit dans la Silicon Valley, où les affaires de sexisme sont légion mais où les rares dirigeantes continuent de signer des accords confidentiels pour régler les litiges. Quant à elle, Sheryl Sandberg, directrice opérationnelle de Facebook, qui figure parmi les 50 femmes d’affaires les plus puissantes au monde d’après le magazine Fortune, auteure de Lean In (En avant toutes), exhorte les femmes à oser s’imposer.
La plupart des mâles ne supportent pas que des femmes s’immiscent sur leur terrain de jeu et font tout pour les en exclure. D’habitude, les femmes mobbées, depuis la base jusqu’au sommet de la hiérarchie, tombent malades, sont déplacées ou licenciées et se taisent, de peur que parler ne nuise à leur carrière. Il faut que cela cesse. Les femmes harcelées ou mobbées doivent révéler au grand jour des procédés d’un autre âge, injustes et illégaux. Elles doivent suivre l’exemple de #MeToo et dénoncer, dénoncer, dénoncer, jusqu’à ce que les femmes, les personnes de couleur, les LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexeset asexuelles) et autres catégories discriminées puissent travailler en paix, dans le respect de la personnes humaine qu’iels représentent.