Fondé à la fin des années 1970, Interfoto existe encore. Un ouvrage au titre poétique Nos rêves sont plus longs que vos nuits, ainsi qu’une exposition des photographies tirées de l’ouvrage visible jusqu’à la fin du mois aux Bains des Paquis de Genève, nous rappelle l’importance de son œuvre de conservation et de transmission de la mémoire militante en Suisse. Interfoto est à l’origine de pas moins de dix livres de photographies. Il a mis en place trente-six expositions, participé à une émission de télévision et à un concert. Àgés de plus de soixante ans, six des membres du collectif – quatre hommes et deux femmes – se réunissent toujours à un rythme hebdomadaire dans leur local de la Rue Schaub. Ce dernier est le témoin de quarante ans d’engagement militant, de la passion toujours intacte de ses membres ainsi que de l’évolution du médium de la photographie.
Constance militante
Comme le souligne Christelle Michel, historienne de l’art spécialisée en histoire de la photographie dans sa postface à l’ouvrage, l’apparition de la photographie couleur dans les journaux, l’arrivée du numérique, puis d’internet n’a en aucune manière affaibli la portée du message du collectif. Les images d’Interfoto montrent que les luttes restent les mêmes, notamment les déséquilibres Nord-Sud, l’égalité entre les femmes et les hommes, les inégalités sociales, la cause environnementale.
«Nous avons toujours travaillé et travaillons encore bénévolement. Nos photos sont classées et archivées avant tout par thématiques. Tout au long de ces années, par la discussion systématique, la sélection et l’inventaire en commun de nos photos, nous avons pu découvrir et expérimenter le potentiel de la création collective et le pouvoir du langage photographique», résume Véronique Jeanneret, co-fondatrice et membre du collectif.
Une préface du militant et avocat Olivier Peter donne un écho contemporain au pouvoir d’évocation de ces images. L’adoption en 2012 d’une loi genevoise sur les manifestations (LMDPu) rend possible une plus grande répression par les autorités. Ce nouveau contexte accentue l’importance des témoignages de mobilisations sociales offertes par ces photographies et la nécessité de la lutte toujours actuelle pour préserver le droit à manifester. Genève serait devenue une des villes d’Europe où la liberté de manifester est la plus mise à mal. «Le besoin de solliciter et d’obtenir une autorisation est déjà une ingérence dans le droit à la liberté de réunion pacifique», rappelle l’avocat. Heureusement, ce tour de vis n’a pas eu l’effet escompté. Les stratégies de contestation se sont adaptées et de nombreux manifestants voient leurs amendes annulées par les tribunaux.
Densité et proximité
Les photographies rassemblées dans l’ouvrage Nos rêves sont plus longs que vos nuits témoignent de la mobilisation de nombreux secteurs de la société: ouvriers, paysans, aînés, militants pacifistes et antinucléaires, femmes, minorités sexuelles ainsi que de la multitude de causes plus actuelles que jamais comme le combat pour la réduction des inégalités, le droit au logement et le droit d’asile. Chaque photographie comporte, sur une page en vis-à-vis, une date et une légende explicative, ce qui permet de la situer dans son contexte historique et narratif particulier. Les photographies de groupe au format horizontal, prises devant les usines, entreprises et dans la rue, confèrent densité et proximité. D’autres photographies privilégiant la verticalité et la perspective permettent de saisir l’atmosphère de l’espace urbain et la vie quotidienne des individus
Nos rêves sont plus longs que vos nuits, Editions d’En Bas, 2018.