Les droits humains visent à pacifier le monde pour en faire un lieu où les relations ne sont pas régies uniquement par la force. Leur respect permet d’atténuer les inégalités politiques, sociales, culturelles et économiques. Ils font reposer le destin commun de l’humanité sur le socle de valeurs sacrées et inaliénables, comme la dignité humaine, la liberté et la solidarité. Empreint de ces convictions, le Festival international du film et forum sur les droits humains (FIFDH) de Genève rassemble chaque année depuis quatorze ans des défenseurs des droits humains, issus des mondes politique, médiatique, universitaire, associatif et de différents secteurs de la société civile. Le FIFDH leur propose une plateforme de rencontres et de débats et permet de faire découvrir au grand public des œuvres documentaires et de fiction, sélectionnées pour leur portée pédagogique et leur force d’évocation. Le Festival a élargi son rayon d’action ces deux dernières années suite à la nomination à sa tête d’Isabelle Gattiker. Il étend aujourd’hui sa présence à plusieurs communes du canton de Genève et de Suisse romande. Il investit également de nouveaux espaces comme les prisons, les foyers de requérants d’asile, les hôpitaux ou les institutions de la recherche (Université de Genève, Graduate Institute, HES SO, CERN). Il s’efforce ainsi d’élargir les termes du débat et parvient à gagner de nouveaux publics à la cause des droits humains.
La grande variété des acteurs attirés par la manifestation (plus de 35’000 visiteurs cette année) est le reflet de la multiplicité des défis en matière de droits humains rencontrés aux quatre coins de la planète. Fanatismes religieux; terrorisme; assauts contre les libertés fondamentales; dérives sécuritaires; ravages environnementaux; violences et discriminations envers les femmes, les minorités visibles et invisibles; racisme, xénophobie et exclusion des populations migrantes; irresponsabilité sociale et morale des entreprises; atteintes au patrimoine culturel (matériel et immatériel) de l’humanité; pouvoir des mafias; corruption de la gouvernance internationale, en particulier dans le domaine du sport; persistances des pratiques barbares comme la peine de mort; usage du viol comme arme de guerre; violences interpersonnelles et abus de pouvoir de toute sorte… Malheureusement, cet inventaire des infractions commises aux quatre coins du monde n’est pas exhaustif.
Des navires de la Méditerranée aux bunkers genevois
Les enjeux de la migration agitent tout particulièrement la sphère politico-médiatique. Le fait se reflète au FIFDH, qui y a consacré plusieurs actions hors les murs et dialogues thématiques. Sur ce sujet comme sur d’autres, les faits ne sont pas souvent éclairés avec suffisamment de clarté. Les arguments humanistes risquent dès lors d’être mal ou trop peu relayés. Pas moins de 22’000 migrants ont péri noyés dans la Mer méditerranée ces quinze dernières années. Sur la base d’un scénario co-écrit avec Caroline Abu Sa’da de Médecins sans frontières, le documentaire Non-Assistance du réalisateur suisse Frédéric Choffat, produit par Akka films et diffusé en première mondiale, éclaire le drame en contextualisant les données essentielles du problème. Il met sobrement et intelligemment à l’honneur des citoyens décidés à pallier la démission des gouvernements européens, en particulier depuis l’abandon par l’Italie en 2013 de l’opération de sauvetage Mare Nostrum. Les appels du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) ont servi d’impulsion à un mouvement de chercheurs et de citoyens engagés. Ces derniers s’emploient à mettre à nu la responsabilité des grands acteurs de l’espace maritime méditerrannéen comme l’OTAN, FRONTEX et certains navires de fret commercial. Leurs travaux scientifiques, leurs activités multidisciplinaires de sensibilisation ainsi que les opérations de sauvetage, de grande comme de petite envergure, qu’ils organisent sont présentés dans le film. Mises bout à bout, ces actions diverses – Forensic Oceanography, Watch the Med, Permanence Alarm Phone, Sea Watch, etc. – jouent un rôle crucial : elles permettent d’envisager une judiciarisation du combat pour la survie et la dignité des migrants et d’en préserver de précieuses traces pour les historiens. Elles ont permis et permettent de sauver des vies ! Elles posent les bases nécessaires à une meilleure conscientisation du grand public aux tragédies qui se jouent en Méditerranée. Non-Assistance salue à juste titre le rôle pionnier de plusieurs activistes et experts aux prises avec les questions complexes soulevées par l’afflux des migrants vers la forteresse Europe, tels le Suisse Charles Heller et l’Italien Lorenzo Pezzani.
La présence des réfugiés sur le sol européen inspire à la presse à grand tirage des gros titres, souvent honteusement réducteurs. La focalisation médiatique découle aussi de l’instrumentalisation de la xénophobie par les populistes d’extrême-droite. Les épreuves que doivent traverser les migrants ont cependant de multiples facettes. Les politiques d’asile – et les lourdes contraintes juridiques et administratives qui leur sont rattachées – méritent d’être remises en cause. La Suisse ne fait pas exception. Ni même Genève, « capitale internationale des droits de l’homme et du droit humanitaire ». Souvent décernée à la cité de Calvin, l’appellation paraît en effet totalement usurpée à la vision du court-métrage Bunkers de la française Anne-Claire Adet. Le documentaire, réalisé à partir d’images filmées au moyen de téléphones portables par des réfugiés parqués dans les abris de la protection civile d’Annevelle et de Châtelaine, fait froid dans le dos. Dans le canton de Genève, ils sont 650 demandeurs d’asile à vivre dans ces abris sous-terrains, héritage de la paranaoïa hélvétique du temps de la Guerre froide. Les requérants ne sont pas autorisés à y recevoir des visites, ni à y cuisiner. Le séjour dans les abris de la protection civile peut durer jusqu’à 18 mois, voire parfois plus. L’atmosphère dans les dortoirs à couchettes superposées est suffocante. Les conditions de vie spartiates et le compagnonnage forcé privent les réfugiés du repos et de l’intimité nécessaires pour rebondir. Le témoignage émouvant de Mohammad Awad M. Jadallah, journaliste soudanais, démontre le potentiel de détresse psychologique lié à cette situation. Il suscite un profond malaise. Les rassemblements de rue contre les conditions d’hébergements des requérants d’asile à Genève l’été dernier en témoignent avec force.
Abolir une pratique barbare
L’univers douloureux de la claustration est évoqué aussi par le travail d’Anne-Frédérique Widmann et de Patrick Chappatte auprès des condamnés à mort étasuniens. Issue d’une enquête menée dans des établissements de haute sécurité de quatre Etats américains, l’exposition « Fenêtres sur les couloirs de la mort » est actuellement visible à la Maison du dessin de presse de Morges et à la Bibliothèque de la Cité de Genève. La journaliste et le dessinateur participent ainsi à la lutte pour l’abolition universelle de la pratique barbare de la peine de mort. Cette revendication, vieille malheureusement de bientôt trois siècles, symbolise à elle seule la nécessité d’un engagement constant et indéfectible en faveur des droits humains. Le travail des deux Genevois permet d’amplifier le débat sur la peine capitale qui agite aujourd’hui les Etats-Unis. 31 Etats américains sur 50 la pratiquent, surtout dans le Sud du pays. Le Texas fait preuve d’un zèle tout particulier. Cependant, la cause abolitionniste a gagné du terrain. L’Oregon et le Nouveau-Mexique ont mis l’infâme sentence au placard ces dernières années. Widmann et Chapatte ont rencontré des dizaines de détenus des couloirs de la mort. Ils ont noué des relations fortes avec eux en animant des ateliers. Ce qu’ils savaient déjà, ils ont pu le constater de manière tangible : la peine de mort est cruelle, injuste, inhumaine et dégradante. Les minorités (noires, latinos, etc.) et les couches sociales défavorisées sont surreprésentées dans les couloirs de la mort. La peine capitale est encore souvent prononcée par erreur. Ainsi, Ndume Olatushani, ex condamné du Tenessee, victime d’une erreur judiciaire, a passé 28 ans dans l’attente de son exécution. Sa passion pour la peinture lui aura cependant permis « de ne jamais se sentir prisonnier ». Des dessins et peintures de prisonniers en attente de leur exécution, tout comme des caricatures de grands dessinateurs de presse américains sur le thème de la peine de mort, sont visibles dans le cadre de l’exposition. Certains détenus racontent avoir pu éviter de sombrer grâce aux manifestations d’amour et d’affection de leurs proches. Comme l’explique l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss, infatigable militante de la cause abolitionniste avec son collègue Robert Badinter, ancien ministre français de la justice, ces témoignages nous bouleversent et nous rassurent. Dans une certaine mesure, ils témoignent de la défaite spirituelle et morale d’une pratique pourtant particulièrement retorse et perverse. « La machine de la peine de mort comporte ceci de spécifique qu’elle nie l’humanité de ceux qui la subissent tout comme de ceux qui la pratiquent. Ceux qui en deviennent le rouage sacrifient en l’exécutant leur morale et leur capacité de compassion ». Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe est le seul espace politique au monde au sein duquel la peine de mort a été entièrement bannie. L’objectif est de gagner des aires géographiques de plus en plus larges, qui puissent se soutenir les unes les autres, sur le chemin de l’abolition. Hérauts autoproclamés de la liberté et des droits de l’homme, les Etats-Unis ont une très lourde responsabilité. Leur réputation restera gravement entachée tant qu’ils s’obstineront à montrer le mauvais exemple. D’autres Etats peuvent en effet se référer à la pratique étasunienne pour ne pas abolir la peine capitale. « Parce qu’elle va circuler aussi aux Etats-Unis, l’exposition « Fenêtres sur les couloirs de la mort » permet justement d’espérer un changement sur place. Anne-Frédérique Widmann et Patrick Chappatte ont eu l’intelligence de s’associer au mouvement abolitionniste américain en lui donnant un témoignage et des outils pour continuer son combat», conclut Ruth Dreifuss.
Le courage des femmes congolaises et du Dr Mukwege
Navi Pillay, ancienne Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, rappelle que le viol n’a été reconnu comme crime de guerre par la communauté internationale qu’à la faveur des violences génocidaires commises au Rwanda dans les années 1990. Le Dr Denis Mukwege a l’impressionnant courage de mettre sur pied en 1998, en plein milieu des conflits ravageant l’est du Congo, l’hôpital de Panzi à Bukavu. Son centre est devenu mondialement connu pour le traitement qu’il propose aux survivants de violence sexuelle, en particulier aux femmes victimes de sévères atteintes gynécologiques. L’hommage rendu par le Dr Mukwege aux femmes congolaises est particulièrement émouvant. Ces dernières l’ont protégé physiquement et psychologiquement lorsqu’il est devenu la cible privilégiée des bourreaux et profiteurs de guerre pour avoir dénoncé les horreurs indicibles dont il a été témoin, notamment des massacres de malades dans leurs lits d’hôpital. « Lorsque ces femmes se mettent debout, elles le font pas seulement pour elles-mêmes et leur dignité, mais aussi pour leurs enfants et pour toute la communauté », souligne-t-il. Thierry Michel, réalisateur du film RDC : Silence, on viole les femmes, dénonce quant à lui le mutisme assourdissant des médias à propos des massacres, viols et destructions commis au Congo ces vingt dernières années. Les horreurs en question ont toujours cours. Le rôle des Nations Unies est de protéger la population civile. Mais cette organisation est trop faible pour l’assumer. Des informateurs minent l’armée démocratique du Congo de l’intérieur. Les immenses richesses du sol congolais suscitent des convoitises commerciales partout le monde. Les rebelles peuvent s’appuyer sur des pays limitrophes comme le Rwanda et l’Ouganda pour maintenir le chaos et faire régner l’impunité. L’Union Européenne tarde toujours à réagir. Les 542 marraines engagées pour l’établissement d’un Tribunal pénal international pour la RDC – sur un modèle analogue aux juridictions pénales établies par le Conseil de sécurité pour l’Ex-Yougoslavie, le Rwanda et la Sierra-Leone – n’ont pas encore obtenu de gain de cause. Le débat sur les mécanismes de justice transitionnelle susceptibles de favoriser la réhabilitation des victimes (en particulier les femmes et les enfants du Kivu) et de ramener la paix dans la région des Grands Lac continue. Comme pour la grande majorité des sujets éclairés par le FIFDH, l’urgence du dialogue sur ce thème ne fait pas l’ombre d’un doute.
L’exposition « Fenêtres sur les couloirs de la mort » est visible jusqu’au 16 avril à la Bibliothèque de la Cité à Genève et à la Maison du dessin de presse à Morges jusqu’au 8 mai.