Les médias suisses et français, alimentés par l’Agence France-Presse notamment, ont propagé, autour du 20 novembre dernier, l’information selon laquelle la joueuse de tennis Peng Shuai était portée disparue depuis qu’elle avait publié sur les réseaux sociaux un texte qui accusait de viol une personnalité politique chinoise importante.
Il n’aura pas fallu deux jours après cette annonce pour que la joueuse de tennis publie une photo d’elle-même en compagnie de sa famille sur les réseaux. Le lendemain, le directeur du Comité International Olympique partage une vidéo d’une entrevue avec elle par visioconférence. Cette preuve met à mal tout le discours brodé jusque-là par une armée de journalistes prompts à communiquer sur la répression en Chine. Loin de se rétracter et s’excuser pour la propagation de fake-news, la RTS considère que le CIO fait sans doute partie de la combine. Elle titrera: «Pékin tente de désamorcer la bombe Peng Shuai avec l’aide du CIO». Le journal français Le Monde botte quant à lui en touche: «L’affaire impliquant la joueuse de tennis n’est pas un cas isolé.» Si «affaire» il y a, c’est celle de la propagation de fausses informations par des grands médias, qui par ailleurs se conçoivent comme des remparts contre les fake-news circulant sur internet. Et, effectivement, cette affaire n’est pas un cas isolé. L’an dernier, une campagne similaire avait été menée sur la prétendue disparition de Jack Ma, ex-patron multimilliardaire d’Alibaba, qui était bien sain et sauf parmi sa famille.
Cette mécanique narrative n’est pas nouvelle, elle a même commencé dès l’émergence d’un contre-pouvoir au capitalisme en Chine. En 1936, le reporter Edgar Snow atteint pour la première fois les bases isolées de l’Armée Rouge de Mao Zedong, alors en guerre civile contre le régime nationaliste occupant la majeure partie du territoire chinois. Il témoigne alors que Mao et ses principaux généraux étaient régulièrement donnés pour morts dans la presse de droite, pour se réincarner de façon tout à fait inexplicable, avant de mourir à nouveau au gré des besoins de la propagande nationaliste et occidentale. C’est cette tradition que vient compléter la RTS, lorsque, sans peur du ridicule, elle annonce finalement à ses auditeurs: «La mystérieuse réapparition de Peng Shuai».
Cette longue tradition signale surtout que si quelque chose est à mettre au compte des portés disparus, ce sont les compétences professionnelles des journalistes des grands médias suisses et occidentaux lorsqu’il s’agit de parler de la Chine, surtout dans le contexte de nouvelle guerre froide actuel. Espérons qu’elles vont un jour «mystérieusement» réapparaître elles-aussi.