La grève est un droit ancré dans la Constitution (art. 28), mais en Suisse, les droits patronaux sont quasi illimités et notre pays adore recevoir l’argent des puissants de ce monde. L’Helvétie se gargarise du partenariat social éprouvé et efficace. Or, dans les faits, les syndicats sont constamment mis sous pression et attaqués.
En 2009, l’affaire du restaurateur étoilé Philippe Chevrier dans le canton de Genève avait clairement démontré que le domicile prédomine très largement sur les droits syndicaux. Ainsi tracter sur un parking de restaurant s’assimile à une violation dudit domicile. Nous pensions avoir touché le fond des libertés syndicales, hélas…
Rattrapages salariaux
En 2021, Laurent Tettamanti de l’Association romande des travailleurs.euses (ART) ainsi que deux co-accusés ont été convoqués le 22 novembre au tribunal de Police d’Yverdon-les-Bains pour l’organisation de deux grèves et d’une manifestation. A la demande d’ouvriers d’Electricité 2020, une première «grève» ou action déterminée sur un chantier a été organisée début 2018 pour obtenir le paiement de rattrapages salariaux entre autres.
Un accord est alors signé au forceps grâce à la grève, alors que les courriers et téléphones étaient restés lettre morte. Coup de Trafalgar, le patron se rétracte et n’honore que partiellement l’accord. Une autre grève est annoncée et exécutée.
Canton rétrograde
L’avocat mandaté par le patron porte plainte pour contrainte. Plainte retirée, mais le Ministère public vaudois maintient ces accusations. Une manifestation en 2018 d’électriciens à Lausanne est également attaquée par le procureur. On parle de degré d’inclinaison du porte-voix, à l’interprétation tatillonne du parcours… bref, nous l’aurons compris, le Canton de Vaud n’est pas des plus progressistes avec le syndicalisme. Les actes d’accusations se comptent par dizaine allant de la contrainte à entrave à la circulation routière.
Pour la grève, l’enjeu est de savoir si elle était licite ou pas. Avec l’explosion du nombre de patrons voyous, avec la législation défaillante – on peut faire faillite et rouvrir le lendemain en changeant de raison sociale, on ne peut pas faire autrement que d’employer des méthodes à la hauteur des malversations commises. Dans ce cas-là en plus, une menace de faillite était réelle. Allez expliquer à un ouvrier qu’il aurait dû entreprendre des démarches judiciaires onéreuses et chronophages afin de recevoir son dû, et au final gagner en justice, mais avoir les poches vides, car le patron a fait faillite!
Dernier recours
Ce n’est jamais de gaieté de cœur qu’un syndicat organise des actions musclées, mais toujours avec l’accord des ouvriers et en dernier recours. Et ces actions sont toujours dictées par un impératif de justice sociale. Les ouvriers ne demandaient rien d’autre que de recevoir leur dû, ils ne demandaient pas la lune. Un syndicalisme combatif est non seulement nécessaire, mais aussi obligé, si l’on veut faire face aux nombreuses dérives libérales que nous devons affronter.
Le patronat d’avant quand l’on pouvait négocier autour d’un verre de blanc et avec une poignée de main qui faisait office de convention est en voie de disparition. Le patronat 2.0 ne s’embarrasse plus de ce genre de considération.
A l’heure où j’écris ces lignes, le verdict n’est pas connu. Mais si les camarades devaient être condamnés, ce serait un très mauvais signal pour les droits syndicaux. Cela aurait pour conséquence de donner des ailes à certains patrons voyous afin d’augmenter encore leurs méfaits sans être inquiétés. En ces temps clairs-obscurs, les droits syndicaux doivent augmenter et non être réduits comme peau de chagrin.