Parole à une héroïne du quotidien

Interview • Deniz Killi, 25 ans, est en formation dans le domaine des soins depuis ses seize ans et est actuellement en train de suivre des études pour devenir infirmière diplômée ES. (Propos recueillis et traduits par les Jeunes POP Vaud, paru dans Résistance)

Deniz Killi, 25 ans, est en formation dans le domaine des soins depuis ses seize ans et est actuellement en train de suivre des études pour devenir infirmière diplômée ES. Elle est membre des Jeunes POP et du PST-POP à Bâle, dont elle a rejoint le Comité directeur national lors du congrès du 7 novembre dernier. Elle est aussi présidente de l’association Pflegedurchbruch (Percée des soins).

Peux-tu nous présenter l’association «Pflegedurchbruch» (Percée des soins)?

Deniz Killi  Malheureusement, il a fallu une pandémie pour que le public et les politiques prennent conscience de notre existence et de nos préoccupations. Il est tout aussi regrettable que nous risquions de perdre à nouveau la conscience publique et politique nouvellement acquise. Le débat sur les conditions de travail dans le secteur des soins s’est rapidement transformé en un débat purement financier. Il est également dérangeant de constater que les organisations qui se sont engagées à soutenir les soignant.e.s et les soins n’ont fait que peu ou pas d’efforts pour empêcher la disparition des soignant.e.s et de leurs préoccupations dans l’opinion publique.

Depuis le début de la pandémie, nous avons pu mettre sur pied une communauté au sein d’un groupe Facebook dans lequel plus de 7000 personnes, pour la plupart des soignant.e.s, se sont mises en réseau, afin de faire progresser l’échange et la sensibilité. Pour ne pas en rester là, les initiateurs et initiatrices ont décidé de prendre les choses en main. C’est ainsi que nous avons fondé l’association Pflegedurchbruch le 30 octobre 2020. Une association de et pour les soignant.e.s.

Par notre travail, nous demandons une collaboration concertée et coordonnée des associations professionnelles et spécialisées, ainsi que des syndicats, pour les soignant.e.s et leurs préoccupations. Une collaboration étroite et rigoureuse à un niveau d’action nettement plus élevé que ce n’était le cas jusqu’à présent, et ce jusqu’à ce que nos préoccupations se concrétisent durablement dans la pratique. Nous aussi, les membres de Pflegedurchbruch, sommes actifs dans les différents syndicats et au sein de l’Association suisse des infirmières et infirmiers ASI, et nous participons aux processus.

Quelles sont les conditions de travail du personnel infirmier?

L’urgence en matière de soins était déjà une réalité avant la pandémie. La crise sanitaire actuelle a aggravé la situation et souligné ce qui était déjà connu. Les mauvaises conditions de travail se retrouvent dans différents domaines et institutions, et nous manquons partout de personnel. Actuellement, plus de 11’700 postes de soins sont vacants en Suisse, dont 6200 pour des infirmier.ère.s.

Nous ne pouvons pas toujours répondre aux besoins des patient.e.s et sommes constamment pressé.e.s par le temps, car de nombreuses tâches sont réparties sur un personnel trop peu nombreux. Entre 2019 et 2029, il faudra 70’500 soignant.e.s supplémentaires, dont 43’200 infirmier.ère.s. Outre le faible salaire, le travail par équipe et l’incompatibilité entre vie professionnelle et vie privée qui en résulte sont des facteurs supplémentaires qui sapent nos forces.

Quel est l’impact des conditions de travail du personnel soignant sur les patient.e.s?

Le nombre de personnes nécessitant des soins augmente massivement. Les gens sont de plus en plus âgés et ont besoin de plus de soins professionnels. Dans les maisons de retraite, les patient.e.s restent souvent des heures dans leur propre urine ou leurs selles parce que le service de nuit a été réduit de trois à un.e soignant.e au fil des ans et que ce.tte dernier.ère ne parvient pas à effectuer des contrôles dans toutes les chambres.

L’étude InterCare de l’université de Bâle montre que 42% des hospitalisations de résident.e.s de maisons de retraite pourraient être évitées si les maisons de retraite employaient davantage de personnel qualifié. Le potentiel d’économie s’élève chaque année à 100 millions de francs.

Dans un nombre croissant d’institutions, le personnel soignant parle déjà de soins à la chaîne, sans pouvoir répondre aux besoins des patient.e.s, tout simplement parce que le temps et le personnel manquent. L’urgence des soins entraîne des complications et des erreurs qui pourraient être évitées.

Que penses-tu de l’initiative sur les soins infirmiers? Y a-t’il d’autres mesures à mettre en place rapidement? (L’interview a eu lieu avant la votation.)

L’initiative sur les soins infirmiers est un pas important vers de meilleures conditions de travail. C’est un paquet global qui prend en compte différents aspects. Notre défi est maintenant de convaincre la population en âge de voter que la société ne peut exister sans sa santé. Si l’initiative sur les soins infirmiers est acceptée, nous nous doterons d’une base légale importante à laquelle nous pourrons rattacher nos revendications sur différents fronts. Finalement, si l’initiative a été lancée en 2017, c’est parce que ces dernières années, aucune mesure durable n’a été mise en oeuvre dans les cantons, par les partenaires sociaux ou au niveau fédéral. Les responsabilités ont été déplacées en permanence au fil des ans, il est temps de les inscrire dans la Constitution fédérale au niveau national.

Quelles sont tes revendications à long terme?

La santé ne doit pas être une marchandise et ne doit pas être soumise au profit. Il faut un système de financement qui soit axé sur les besoins de la société et non sur le profit. Il faut en outre investir davantage dans la prévention, afin que les gens ne tombent pas malades. Nous devons remettre l’être humain au centre des soins, mais surtout, nous avons besoin d’un système de santé accessible à toutes et tous de la même manière.