Les Alpes valaisannes, à travers les siècles, ont vu le passage ou le séjour de grandes figures politiques, artistiques ou religieuses, et cela pour des raisons fort diverses. Née à Sierre mais vivant à Genève, Brigitte Glutz-Ruedin a consacré à sept d’entre elles un ouvrage solide, étayé sur de nombreuses sources et témoignages, et de lecture agréable. Chaque chapitre comporte une biographie de la personne considérée et se penche plus précisément sur ses liens avec le Valais. Grande marcheuse, l’auteure a fait suivre chacun d’entre eux de propositions d’excursions plus ou moins difficiles, sur leurs pas.
Charlin Chaplin (1889-1977) ouvre les feux. Poursuivi aux Etats-Unis pour ses présumées sympathies communistes, il gagne la Suisse en 1952, où il acquiert le Manoir de Ban à Corsier dans le canton de Vaud. Il y règne quelque peu en autocrate sur la nombreuse descendance que lui a donnée sa jeune femme Oona. Ils fréquentent Crans-sur-Sierre pour y faire du ski. Dans le cas de Chaplin, on peut donc dire que ses séjours en Valais sont de nature purement touristique.
La vie de Winston Churchill (1874-1965) est elle aussi trop connue pour qu’on la rappelle ici. Mais sait-on que le futur «vieux lion» à l’éternel cigare a fait dans sa jeunesse l’ascension du Mont Rose (4634 m.)? Surtout, jeune officier, il a effectué plusieurs séjours dans la somptueuse Villa Cassel près de Riederalp, d’où l’on a une vue magnifique sur le glacier d’Aletsch. Avec de nombreux autres hôtes, il y menait la vie élégante de la gentry britannique: les hommes arboraient leurs décorations, les femmes leurs plus beaux bijoux. Une existence certes aux antipodes de celle, très dure, des paysans de montagne valaisans, qui végétaient souvent dans la misère…
Courbet, héros de la Commune
On sait que le peintre Gustave Courbet (1819-1877), anarchiste, épris de liberté, communard, dut s’exiler à Vevey pour échapper à l’énorme amende que lui avaient infligée les Versaillais pour avoir été l’instigateur de la mise à bas de la colonne Vendôme napoléonienne. Quant à ses séjours en Valais, ils sont peu documentés. On sait en tout cas que l’artiste fit des cures à Loèche-les-Bains et qu’il entretint des rapports étroits avec le conseiller d’Etat valaisan Maurice Barman, un radical de gauche progressiste et anticlérical. Mais ce sont surtout ses peintures qui attestent l’intérêt de Courbet pour les paysages alpins. Plusieurs de ses toiles portent le titre Le Glacier. Il avait une prédilection pour les Dents-du-Midi et le Grammont. Sans doute ces sommets alpins représentaient-ils pour Gustave Courbet un espace de liberté totale, «sans Dieu ni maître»!
Est-il encore besoin de raconter l’histoire de Joseph-Samuel Farinet (1845-1880), ce faux-monnayeur et hors-la-loi devenu une icône populaire en Valais, et qui donna lieu à un roman de Ramuz, ainsi qu’à un film de 1938 où il était incarné par Jean-Louis Barrault? Ce qu’on ignore parfois en revanche, c’est que Farinet n’était pas valaisan mais originaire de Saint-Rémy, du côté italien du Grand-Saint Bernard. Mais c’est le canton suisse qui fut le théâtre principal de ses exploits. L’auteure insiste sur le soutien que lui accorda une population valaisanne souvent hostile à toute autorité, et sur les hypothèses qui entourent sa fin précoce.
Passage des Alpes
Quant à Hannibal (247-183 av. J.-C.), son supposé passage des Alpes par le col du Grand-Saint-Bernard est accueilli par les historiens avec la plus grande circonspection. Si le chef de guerre carthaginois, venant d’Espagne avec son armée et ses éléphants, a bien franchi les Alpes pour surprendre les Romains par le Nord, quel col suisse, français ou italien a réellement vu son exploit? On ne le saura probablement jamais. Brigitte Glutz-Ruedin prolonge ce chapitre en remontant plus loin dans l’histoire, ou plutôt la préhistoire, en consacrant des pages intéressantes aux monuments mégalithiques en Valais. Elle montre bien que ceux-ci ne sont pas «celtiques» mais bien antérieurs et se référent à la période du Néolithique (5e millénaire jusque vers 1500 av. J.C.)
Qui connaît aujourd’hui encore le nom de saint Mayeul (vers 906-994), alors un personnage très important de la chrétienté, qui dirigeait l’abbaye de Cluny en Bourgogne? Or celui-ci, de retour de Rome par le Grand-Saint-Bernard, fut fait prisonnier par les «Sarrasins», avant d’être libéré contre une énorme rançon. C’est l’occasion pour l’auteure de se pencher sur ces fameux «Sarrasins», qui constituent aujourd’hui encore un véritable mythe en Valais. Le terme doit être pris avec les plus grandes précautions, car il peut signifier simplement «païen » ou faire allusion aux Magyars non encore christianisés.
Une philosophe engagée
C’est avec la belle figure de Simone Weil (1909-1943) que s’achève l’ouvrage. On ne la confondra pas avec son homonyme, ministre de Valéry Giscard d’Estaing, qui réussit à faire passer en France la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. L’autre Simone Weil, née dans la bourgeoisie juive, tendit rapidement vers le mysticisme catholique, sans pourtant jamais se convertir. Militante d’extrême-gauche, elle voulut travailler en usine, pour être plus proche du prolétariat. Elle combattit aussi en Espagne dans les Brigades internationales. Tout cela malgré une santé fragile. C’est cette dernière qui l’amena à faire plusieurs séjours à Montana-Vermala, dans la clinique moderne de la Moubra, où l’on pratiquait l’héliothérapie ou «cure solaire». Comme Davos et Leysin, Montana était alors l’un des hauts-lieux de la lutte contre la tuberculose, avant la découverte de la streptomycine. Bien qu’elle réussît à gagner les Etats-Unis après la débâcle française de 1940, Simone Weil préféra retourner à Londres pour travailler dans un bureau de la France libre. C’est dans cette ville qu’elle décéda à l’âge de trente-quatre ans.
Les personnes intéressées à la fois par l’histoire et par les Alpes, et tout particulièrement les Valaisan-ne-s, liront donc avec plaisir ce livre, par ailleurs richement illustré.
Brigitte Glutz-Ruedin, Sept personnalités en Valais, Genève, Editions Slatkine, 2021, 352 p.