Rassemblant plus de 50 artistes, photographes et cinéastes aux horizons culturels et géographiques très divers, « Masculinités. La libération par la photographie » explore les représentations de la masculinité, de 1960 à nos jours. Dans le sillage de MeToo, l’image de la masculinité a été révélée sous un jour cru. Ce sont des chefs d’Etat qui dictent la politique mondiale et ont mené le monde à un désastre anthropocène.
L’ouvrage et l’exposition abordent le concept de masculinité toxique ou les traits masculins socialement régressifs au service de plusieurs maux: domination et dévaluation des femmes, homophobie et violence gratuite. Dans une perspective voulue non clivante et féministe, Masculinités… ausculte ainsi des thèmes cruciaux: pouvoir, patriarcat, identité queer, politiques raciales, stéréotypes hypermasculins, tendresse, famille. Sans oublier la perception des hommes par les femmes – Annette Messager, Laurie Anderson… L’ensemble examine le rôle critique que la photographie et le cinéma ont joué dans la manière dont les masculinités sont imaginées et comprises dans la culture contemporaine.
Fort de textes analytiques pertinents et richement documentés, le livre Masculinities. Liberation Through Photography se révèle essentiel sur les masculinités hybrides, conscientes ou non.
Jeux d’identités
On croise quelques figures de gender-fluid, notamment à travers le travail de Catherine Opie, Être et avoir (1991). Sur fond jaune moutarde, voici treize portraits de ses amies arborant de fausses moustaches et barbes. Le cadrage est rapproché, la photo rappelle l’identité judiciaire, ici détournée, décalée. Pour l’artiste, ce sont des «lesbiennes percées et tatouées de la scène des clubs alternatifs qui remettent en question l’image typique des lesbiennes… Elles veulent simplement emprunter les fantasmes des hommes et jouer avec eux.»
Aux yeux d’Alona Pardo, commissaire de l’exposition, les exigences vitales prennent le pas sur le ludique tant Opie suggère que «pour survivre dans un monde binaire et hétérosexuel, ses sujets doivent subvertir leur identité et adopter le langage familier des codes de genre traditionnels», selon Alona Pardo, la commissaire de l’exposition.
Militaires
Toutefois, les manifestations de la masculinité traditionnelle dépeinte comme «idéalisée, dominante, hétérosexuelle» sont dominantes, côté militaires notamment. En témoignent des miliciens libanais saisis dans un noir-blanc charbonneux pour les portraits en pied de Fouad Elkoury (1980), de jeunes recrues de Tsahal, endormies ou blessées dans des atmosphères épiphaniques au fil de la série Soldiers signée Adi Nes. Mais aussi des toréros portugais immortalisés à leur sortie de l’arène sur un mode frontal, entre tension et sidération, par la photographe néerlandaise Rineke Djikastra.
Toréros
«Dans une mise quasi féminine de brocards dorés et de rose, les visages de ces hommes aux émotions contrastées sont fouettés par le sang taurin. En rupture partielle avec l’image du mâle héroïque, leur épuisement illustre une fragilité après une performance en forme de mise à mort collective au cœur d’un amphithéâtre. Que de symboles!», souligne Alona Pardo.
Au chapitre des représentations iconiques du Mal historique, des généraux et officiers SS sont rassemblés par Piotr Uklański pour sa mosaïque de 164 acteurs hollywoodiens aux poses martiales extraites de films et campant les bourreaux, non sans questionner la marchandisation du IIIe Reich par le 7e art (The Nazis).
Famille recomposée
L’œuvre du Japonais Masahisa Fukase atteste du lien intime entre prise de conscience de la perte et reconnaissance identitaire au sein de photographies de famille mises en scène. Une perte sur plusieurs plans incluant le contexte familial disparu qui a vu naître la photo (Famille 1971-90). Des images en noir-blanc aux qualités sculpturales comprenant le photographe de face, torse dénudé, et son père. Le reste du groupe est vu de dos, incluant de manière subversive une mannequin nue.
Reflets ironiques d’une culture patriarcale interrogée et mise en crise, ce sont aussi des moments de tendresse qui y sont dévoilés. Autant de compositions tour à tour loufoques, facétieuses, graves et mémorielles soulignant l’inéluctabilité de la mort.
Imagerie talibane kitsch
C’est l’une des séries phares de Masculinités… Le photojournaliste polonais de l’agence Magnum, Thomas Dworzak, a acquis lors de sa couverture de la chute du régime taliban en 2002, un ensemble de portraits de talibans réalisés dans des studios photo de Kandahar.
L’interprétation talibane des règles islamiques stipulait que la photographie ou toute représentation d’êtres vivants (humains ou mammifères) était illégale. Mais lorsque la photo d’identité fut à nouveau autorisée, certains membres du mouvement islamiste intégriste posèrent pour un portrait flatteur et retouché, pris secrètement dans l’arrière-salle d’un studio.
Une fraternité sous-tendue d’intolérance
Déroutante, iconoclaste pour une grille de lecture occidentale, l’imagerie convoquée flirte avec l’homo-érotisme cher aux portraits du célèbre duo kitsch et baroque français, Pierre et Gilles suscitant un monde idéalisé oscillant entre artifices, rêves, couleurs chatoyantes et irréelles. Voyez ce «quasi-couple» de talibans. Ils se tiennent délicatement la main, yeux soulignés de kohl, peaux de poupées en porcelaine.
Ces portraits pictorialisés témoignent à la fois des registres de masculinités fragile et toxique, tout en brouillant les frontières des représentations convenues. Mais les images se rattachent aussi à une actualité tragique. Les relations entre personnes du même sexe sont ainsi passibles de la peine de mort selon le fondamentalisme taliban.
Masculinities, Liberation Through Photography, Prestel/Barbican. Masculinités…, Rencontres d’Arles de la photo. Jusqu’au 26 septembre.
Visite par Alona Prado: youtube.com/watch?v=AivPz4enrmA