Défaite annoncée des gauches?

France • Au printemps prochain, lors de l’élection présidentielle, le pays choisira qui le dirigera pendant cinq ans. Sans union des forces de gauche qui font campagne façon puzzle, un boulevard s’ouvre pour la droite. Mais tout n’est pas joué.

Qui sera la prochaine personnalité à occuper l’Elysée au cœur d’un paysage politique et social profondément divisé et morcelé, où l’abstention règne en maître? (Mannhai)

Dans moins de deux cents jours, le dimanche 10 avril 2022, se tiendra le premier tour de l’élection présidentielle. Les sondages d’opinion donnent actuellement la droite victorieuse. Entre la droite extrême du Président sortant, Emmanuel Macron (~23%), celle de la personnalité candidatant pour Les Républicains (~14%) et l’extrême droite de Marine Le Pen (~19%), ce sont environ 56% des intentions de vote qui pencheraient vers le camp de l’exploitation, à en croire les sondeurs. A ces candidats.es, il faudrait ajouter l’éditorialiste d’extrême droite Eric Zemmour, que certains sondages créditent entre 8 et 10%.

Le camp d’en face se partage, lui, près d’un tiers des intentions de vote au premier tour (~30%). Celles-ci misent bout à bout pourraient offrir une occasion d’accéder au second tour de l’élection. Pour cela toutefois, il faudrait d’abord parvenir à accomplir une mission qui paraît pour l’heure impossible: unir les gauches.

La gauche à la mode droite

Il y a d’abord la gauche de droite, celle du Parti «socialiste» (PS). Un parti dont le souvenir amer est encore vif parmi les membres du camp de l’émancipation, puisque c’est celui d’un certain François Hollande, Président de 2012 à 2017, dont le gouvernement a amorcé une destruction du code du travail (Loi El-Khomri dite Loi travail) et alloué d’importants crédits d’impôts «pour la compétitivité et l’emploi» (CICE) au patronat. Cela, avant que son Ministre de l’économie, un certain Emmanuel Macron, ne devienne Président à son tour, sous l’étiquette «En marche», et ne poursuive ces œuvres – par Loi travail II, la prolongation du CICE et la suppression de l’Impôt de solidarité sur la fortune, entre autres).

Si le PS n’a pas encore officiellement de challenger, l’actuelle Maire de Paris Anne Hidalgo est pressentie. Elle est en tout cas soutenue par le Premier secrétaire du parti, Olivier Faure, récemment réélu à son poste. Les militant.es trancheront entre Anne Hidalgo et Stéphane Le Foll, porte-parole sous Hollande, le 14 octobre prochain au cours d’une primaire interne, sans débat entre les papables, au grand dam de Le Foll.

Côté programmatique, le PS a élaboré un «projet» baptisé «Il est temps de vivre mieux». Ce qui n’empêche pas Mme Hidalgo, lorsqu’on l’interroge à la radio, de répondre: «Alors le programme, on va d’abord aller à […] la rencontre des Français. Je veux aller parler à toutes celles et ceux qui ne croient plus en la politique». (France Inter). Le premier parti du pays étant l’abstentionnisme, voilà qui risque de prendre du temps. L’intéressée en promet, toutefois, un pour la fin de l’année. Elle est actuellement créditée entre 7 et 8% dans les sondages, soit à peine plus que le score au premier tour de l’élection de 2017 du candidat PS, Benoît Hamon, qui a depuis «quitté la politique».

Gauche écolo

Il y a ensuite la gauche verte, celle d’«Europe, Ecologie, Les Verts» (EELV), dont le premier tour de la primaire ouverte à tout le monde s’est terminé dimanche dernier. A l’issue de celui-ci, ce sont Yannick Jadot, député européen et l’économiste Sandrine Rousseau, qui ont été choisis pour s’affronter d’ici au 25 septembre, date d’ouverture du second tour. Leurs programmes respectifs sont eux aussi en construction. Et en attendant qu’une personnalité candidate ne l’emporte, difficile de connaître le rôle exact que jouera EELV dans la campagne présidentielle.

On peut rappeler que Mr Jadot s’était rallié à Benoît Hamon avant le premier tour de 2017. Pour ce qui est de Mme Rousseau, interrogée sur Le Media, elle estime qu’il faut «tendre la main à tous les partenaires» du «PS à la France insoumise» (FI) bien que le temps soit à «affirmer l’écologie comme la force motrice de la gauche» et qu’il ne soit pas «pertinent de parler d’alliance dès aujourd’hui». Elle ajoute toutefois, «je respecte beaucoup… les militant.es insoumis.es qui pour beaucoup veulent une rupture avec le système tel qu’il est actuellement, avec libéralisme, le capitalisme. Je leur dis, moi aussi». De quoi spéculer si elle devait remporter la primaire de son parti, au cas où le moment venu, elle serait plus portée à s’allier au FI qu’au PS. Les sondages créditent Mr Jadot de 6 à 10% des intentions de vote. Contrairement à son concurrent, Mme Rousseau vient tout juste d’émerger dans l’espace médiatique et sa candidature n’a encore que peu été évaluée.

Gauche originelle

Reste une partie de la gauche des origines, celle du Parti communiste français (PCF) et de la FI. Des formations qui ont renoncé cette fois à faire candidature commune. La première a décidé d’envoyer son Secrétaire national, Fabien Roussel, la seconde son candidat fétiche, Jean-Luc Mélenchon.

Ces partis partagent pourtant l’essentiel de leurs programmes, jusqu’à leur nom, celui de la FI proposant un «Avenir en commun», là où le PCF propose une «France en commun». Tous deux défendent, parmi d’autres points, l’instauration de la retraite à 60 ans, la revalorisation des pensions des retraité.es afin de les placer au-dessus du seuil de pauvreté, la création d’un pôle public bancaire, une hausse du SMIC, la mise en place d’instances de planification stratégique pour une transition écologique ou encore l’abrogation de la Loi El-Khomri. Reste quelques nuances d’importance variable.

Ainsi, le PCF propose par exemple une baisse de 20% de la facture d’électricité. La FI, elle, milite pour la gratuité des premières quantités d’énergie. Si la FI souhaite passer à 100% d’énergies renouvelables, le PCF préfère faire une large place à ces dernières, tout en maintenant la filière nucléaire française. Des divergences somme toute assez peu radicales. Son candidat, Fabien Roussel, est crédité de 2 à 3% des intentions de vote. Mélenchon, lui, en dénombre pour le moment 8 à 11%, soit à peu près autant qu’à la même période avant l’élection de 2017. Il avait fini par obtenir 19,58% au premier tour, et il lui avait, alors, manqué un peu moins de 2% pour se retrouver en deuxième position devant Mme Le Pen.

Alliance ou défaite

En envisageant que ce soit Mme Rousseau qui emporte la primaire des écologistes, puis se rallie à la FI, et que les communistes en fassent de même, il se pourrait que Mr Mélenchon soit en mesure, cette fois, d’atteindre le second tour, ouvrant un boulevard à la gauche pour gouverner le pays. Il est peut-être temps de sortir de la guerre des chapelles pour emprunter, ensemble, la route du pouvoir, ou peut-être pas…