Les talibans et la haine des femmes

La chronique féministe • Les discours de quelques porte-parole assurant au monde entier que les talibans ont changé, qu’ils seront davantage respectueux des droits humains et autoriseront l’éducation des filles et le travail des femmes ne sont que de la poudre aux yeux.

Or donc les Américains ont quitté l’Afghanistan, après 20 ans d’occupation et 2261 milliards de dollars déversés pour rien. « La plus grande puissance du monde » a fait étalage de son incurie. Ses services de renseignement, ses généraux multimédaillés n’ont pas été capables de prévoir le retour éclair des talibans, qu’ils avaient tenus éloignés des villes, notamment de la capitale. Comble de l’ironie, les Américains ont été contraints de « discuter » avec leurs pires ennemis, afin de sécuriser l’aéroport de Kaboul… et de leur « faire confiance ». Dans la précipitation improvisée, ils ont sauvé quelques centaines de soldats US et d’Afghans qui avaient travaillé pour eux, comme interprètes, guides, etc., mais en ont abandonné davantage. Ceux-ci, considérés comme traîtres par les talibans, seront pourchassés, torturés, assassinés. Ainsi que tous ceux qui ont osé contrevenir à la charia. Les Américains ont surtout abandonné les femmes, mais tout le monde s’en fout.

Les discours de quelques porte-parole assurant au monde entier que les talibans ont changé, qu’ils seront davantage respectueux des droits humains et autoriseront l’éducation des filles et le travail des femmes ne sont que de la poudre aux yeux. Leurs exactions ont d’ailleurs commencé avant même le retrait des troupes. On ne voit aucune femme dans les rues ; au marché, elles portent l’abominable tchadri (ou burqa), cette tenue qui non seulement couvre totalement le corps, mais cache le visage par une grille de tissu. Des reportages télévisés ont démontré la difficulté de se mouvoir quand on en est affublé. La burqa est une invention récente imposée par les talibans en Afghanistan dans les années 1990, qui s’est ensuite répandue parmi les mouvements salafistes les plus radicaux. Or le Coran n’impose pas cette tenue, il ne conseille que d’être vêtu.e de façon modeste. Mais pour les talibans, ces « étudiants » qui n’aiment ni la musique, ni le plaisir ni la liberté, il était nécessaire d’enlever aux femmes toute velléité d’émancipation. Pour eux, elles ne sont que des ventres destinés à porter de futurs soldats qui, à leur tour, deviendront les défenseurs de la charia.

La charia réglemente toute la vie des croyant.e.s : le droit de la famille, la vie en société, le respect de la religion musulmane. Elle définit des sanctions d’une gravité variable pour le non-respect de ces règles. Les Afghan.e.s vont donc retrouver les délices de la version talibane, avec sa cohorte de punitions : amputation de la main qui a commis un vol, coups de fouet pour usage d’alcool, lapidation pour adultère, etc.

Aujourd’hui, les artistes sont en danger de mort. Ainsi que les femmes qui ont osé goûter à la liberté, assumer des mandats politiques, comme Zarifa Ghafari, devenue en 2019 la première maire d’Afghanistan, à Maidan Shar, dans la province du Warkad. Âgée de 27 ans, elle craint pour sa vie mais n’a pas essayé de fuir le pays. Elle a confié au quotidien britannique iNews « Je suis assise ici à attendre qu’ils viennent (les talibans). Il n’y a personne pour m’aider ou aider ma famille. Je suis juste assise avec mon mari. Ils viendront pour des gens comme moi et me tueront. Je ne peux pas quitter ma famille. Et de toute façon, où irais-je ? »

Une femme maire ? Une horreur pour les talibans. Qui ne supportent pas que les filles aillent à l’école et que les femmes travaillent. Pourtant, avec la séparation drastique des sexes imposée en tout lieu, il faudra bien des enseignantes dans les écoles, des aides-soignantes dans les hôpitaux, voire des femmes médecins (autre horreur), … Ou alors, on laissera crever les femmes malades.

Les talibans et leur obsession des femmes sont une caricature de ce que furent, et sont encore parfois, les hommes envers les femmes depuis l’instauration du patriarcat. Partout dans le monde, et bien avant l’Antiquité, les hommes étaient soldats, religieux, politiciens et gouvernaient la Cité pendant que les femmes s’occupaient du foyer, portaient les enfants et s’en occupaient. Elles n’avaient aucun droit. Cet asservissement dura des millénaires, jusqu’à l’obtention du droit de vote, premier de tous les autres, au début du XX e siècle seulement. La Suisse ne l’accorda qu’en 1971, je le rappelle à chaque occasion.

Jusqu’à la fin du XIX e siècle, les femmes n’avaient pas accès à l’Université ; Camille Claudel et ses sœurs n’avaient pas le droit de suivre des cours de dessin, parce qu’elles auraient été confrontées à des hommes nus ; les sciences leur étaient fermées, les sports aussi. Chaque fois qu’une femme émergeait, grâce à son génie et malgré les obstacles, elle était insultée, niée. À part de très rares exceptions (Artemisia Gentileschi, Elisabeth Vigée Le Brun, Berthe Morisot, Suzanne Valadon, Frida Kahlo, Marie Curie), leurs œuvres tombaient dans l’oubli, leurs découvertes étaient minimisées ou spoliées (le premier programme informatique a été inventé par une femme, Ada de Lovelac ; l’ADN découverte par une autre, Rosalind Franklin, mais ce sont ses collègues qui ont obtenu le Nobel). Cependant, le best-seller mondial, réédité 16 fois et traduit dans plus de 30 langues, Histoire de l’art d’Ernst Gombrich, paru en 1950, ne comporte aucune femme, comme si, en matière d’art, les femmes étaient transparentes. Je pourrais multiplier les exemples de femmes invisibilisées.

Mon ami Denis, que je rencontre toutes les six semaines dans le cadre d’une association, me réserve des articles soigneusement découpés qui relatent les mille et une injustices commises contre des femmes hors du commun. Alfonsina Strada (1891-1959), championne italienne de vélo, a vaincu tous les préjugés et même gagné des courses réservées aux hommes. Sophie Germain, autodidacte (elle n’avait pas le droit de suivre des cours), fut la première mathématicienne décorée, le 8 janvier 1816, considérée comme l’égale des plus grands. Ses travaux auraient pu faire avancer l’histoire différemment, mais ils ont été négligés. La Hongroise Judit Polgár a battu aux échecs tous les maîtres, jusqu’à Garry Kasparov, à Moscou, en 2002, qui ne s’est pas remis d’avoir été vaincu par une femme. Après avoir attendu des années pour se trouver à la tête d’un orchestre, et avoir vu plusieurs collègues lui passer sous le nez (les conservatoires comptent 50% de femmes étudiant la direction d’orchestre, seules 4% réalisent leur rêve, à cause des préjugés), Debora Waldman interprète l’œuvre magistrales de la compositrice inconnue Charlotte Sohy : la Symphonie Grande Guerre, achevée en 1917. Etc., etc., etc.

Même aujourd’hui, les femmes doivent franchir davantage d’obstacles et se montrer trois fois meilleures qu’un homme pour obtenir un avancement ou un poste prestigieux. Dans l’inconscient collectif perdure la vision de la femme au foyer, et l’accession d’une femme aux plus hautes fonctions représente encore une incongruité qui donne le hoquet.

Enfin, la question des violences faites aux femmes, des viols et des féminicides, le harcèlement intensif en ligne, notamment contre les politiciennes, est le symptôme, hélas mille et mille fois répété, d’une société machiste et misogyne, où les femmes qui veulent être autre chose qu’un ventre représentent une menace. Exactement comme chez les talibans.