Avec Gustave Caillebotte (1848-1894), la Fondation Gianadda met un terme à son grand cycle d’expositions consacré aux impressionnistes, commencé avec Degas en 1983. Caillebotte est sans doute le plus méconnu du groupe, qu’il rejoignit lors de la deuxième exposition impressionniste en 1876. Or on va découvrir à Martigny les multiples facettes de son œuvre.
L’homme était sympathique. Issu d’un milieu bourgeois fortuné, il put mener une vie professionnelle d’«amateur», c’est-à-dire qu’il ne fut jamais dans la nécessité de vendre des tableaux pour vivre. Il aida généreusement ses camarades impressionnistes dans la dèche et leur acheta des toiles. Par exemple, dans son Autoportrait au chevalet et aux pinceaux, on voit sur le mur du fond le fameux Bal du moulin de la Galette de Renoir, qu’il avait acquis en 1877.
Facture impressionniste
L’exposition est à la fois chronologique et thématique. Y figurent d’abord ses œuvres de formation. Déjà l’on mesure son talent. Dans Militaires dans un bois, les pantalons rouges se détachent sur le vert de la forêt. En regardant bien, on découvrira même un détail plaisamment scatologique… Mais c’est avec Peintre sous son parasol, de facture très impressionniste, qu’éclate son génie pictural. Caillebotte a peint les gens de son milieu social: femmes à la lecture ou au piano, aux larges robes avec corsets, portant ombrelle, hommes en haut-de-forme. Parmi ses portraits, signalons celui de l’intellectuel Henri Cordier, plongé dans ses écrits et saisi comme dans un instantané photographique, une technique qui n’était pas étrangère à Caillebotte.
Suivant l’injonction de Pierre-Joseph Proudhon, selon lequel il était temps que l’art ne s’occupe plus seulement «des dieux, des héros et des saints», mais aussi des «simples mortels», il s’est intéressé également au milieu ouvrier. Ses célèbres Raboteurs de parquet firent scandale en 1875: on jugeait le thème «trivial» et «vulgaire» et le tableau fut refusé au Salon! Il a consacré des toiles à d’autres hommes du peuple, comme les Peintres en bâtiment ou le «Père Magloire», un simple jardinier. À certains égards, avec ses œuvres naturalistes, on peut le considérer comme le pendant en peinture de Zola en littérature. D’ailleurs, Caillebotte a aussi pris comme sujet le «ventre de Paris» (les Halles), titre d’un roman de Zola, et a consacré des toiles aux demi-veaux écorchés exposés dans les boucheries, comme le feront plus tard Chaïm Soutine et Francis Bacon.
Monde industriel à la Zola
Caillebotte s’est passionné pour le monde moderne et la révolution industrielle. Il a peint le Paris haussmannien, notamment dans une magnifique toile où l’on voit deux hommes au balcon contemplant en plongée le spectacle des grands boulevards, que les spectateurs du tableau croient voir avec eux. Un autre tableau mondialement connu de Caillebotte est sa représentation du Pont de l’Europe (1876). Celui-ci, bâti en fer, surplombe non une rivière mais les voies de chemin de fer convergeant vers la gare Saint-Lazare. On y reconnaît même le haut d’une locomotive Tender 120 T de la Cie de l’Ouest Paris-Versailles! Il est intéressant de comparer les diverses versions de cette toile, présentes dans l’exposition, et les modifications que l’artiste lui a apportées. Dans le tableau final, il a ajouté un chien trottant en direction d’un couple, donnant ainsi un mouvement presque cinématographique à son œuvre.
Gustave Caillebotte est surtout connu pour ses vues de la Seine. Grand amateur de régates à voile, il possédait plusieurs embarcations et était un compétiteur avisé. Son génie se manifeste surtout par les reflets vibrants des bateaux dans l’eau du fleuve. Mais il a peint aussi les rives de celui-ci, un peu nostalgiques, avec ses peupliers et leurs reflets.
Un petit Giverny
En 1888, Gustave Caillebotte s’installa dans la propriété du Petit Genevilliers, sur les bords de la Seine, avec son magnifique jardin aux diverses essences végétales, qui fait un peu penser à celui de Monet à Giverny. On peut voir d’ailleurs des similitudes entre les deux peintres, tant dans leur technique que dans leurs thèmes. Par exemple, le pont de l’Europe fut également peint par Monet. On découvre dans cette partie de l’exposition un Caillebotte moins familier, qui a su peindre avec un immense talent les massifs de fleurs de sa propriété, et leurs ombres non pas noires mais bleutées ou violettes. Il a représenté aussi diverses espèces de fleurs isolées, d’une manière moins strictement réaliste et plus libre que Fantin-Latour. On croit percevoir la texture même de ses pétales de chrysanthèmes, de glaïeuls ou encore de capucines, peints dans un style japonisant.
L’exposition, prolongée par une série de photographies prises par Martial Caillebotte, un musicien frère de l’artiste, est donc très variée dans ses sujets. Et surtout, elle est de celles qui rendent le visiteur heureux! n
«Gustave Caillebotte. Impressionniste et moderne», Martigny, Fondation Pierre Gianadda, jusqu’au 21 novembre.