Les dessous de la crise migratoire

Migration • Une décision européenne pourrait annuler l’accord de pêche incluant les eaux du Sahara occidental. Il y a aussi le désir de Rabat d’avoir plus de ressources pour contrôler les frontières de l’UE. Voici deux clés pour comprendre la récente crise de Ceuta. (Par Martin Cuneo, Paru en CC dans El Salto, adapté par la rédaction,

A l’occasion d’une manifestation de solidarités avec les migrants. (Albar Arrraitz)

«La prochaine crise avec le Maroc a une date: le début de l’été», titrait El Confidencial en mars dernier. Il n’a pas fallu attendre si longtemps, suite à la tentative d’entrée de 8000 migrants à la frontière de Ceuta la semaine dernière. «Nous n’accepterons pas le moindre chantage», a déclaré le 20 mai la ministre de la Défense, Margarita Robles. La raison officielle de cette crise, liée à l’admission du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, 71 ans, à l’hôpital de Logroño après avoir été infecté par le covid-19, n’est que le déclencheur de conflits et d’intérêts de longue date.

Accord de pêche controversé

Cet article d’El Confidencial l’avait déjà anticipé: en mars 2021, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a commencé à étudier la légalité de l’accord de partenariat et de pêche entre le Maroc et l’Union européenne, un texte incluant un territoire qui, selon l’ONU, n’appartient pas au Maroc: le Sahara occidental. Une possible annulation de l’accord de pêche avec le Maroc et un soutien européen aux thèses du Front Polisario sont l’un des dessous de la crise de Ceuta.
En janvier 2019, Bruxelles et Rabat ont renouvelé et étendu l’accord bilatéral par lequel 128 navires européens, dont 90 espagnols, pourront pêcher dans les zones de pêche appartenant au territoire du Sahara occidental. Et ce malgré une précédente décision de la CJUE en décembre 2016 indiquant que les produits du Sahara occidental ne pouvaient pas entrer dans les accords commerciaux entre Bruxelles et Rabat, le Maroc n’ayant aucune juridiction sur le territoire sahraoui. Bruxelles a poursuivi l’accord, arguant qu’il bénéficiait d’un large soutien dans le territoire sahraoui.

Intérêts marocains prépondérants

Toutefois, c’est le Front Polisario lui-même qui a porté le nouvel accord de pêche devant les tribunaux, arguant que le pacte «favorise les politiques d’occupation militaire marocaine». Le Polisario a affirmé que l’UE et le Maroc n’ont aucune compétence «pour conclure des accords qui affectent un territoire non autonome en attente de décolonisation». L’accord de pêche signé avec l’Europe autorise ses navires à pêcher jusqu’à 100’000 tonnes à partir de la quatrième année de validité. En contrepartie, Bruxelles doit payer 52 millions d’euros par an à Rabat pour l’utilisation de ses eaux et de celles du Sahara Occidental.

Un jugement favorable au Front Polisario dans la CJUE serait un coup dur pour les intérêts et les affaires du Maroc au Sahara Occidental, qui reçoit aussi une importante source de financement par l’exploitation des phosphates, du sable, du sel et autres minéraux, comme le dénonce l’organisation Western Sahara Resource Watch.

Il s’agirait également d’un revers pour la position diplomatique du Maroc, au milieu d’un nouvel épisode de désaccord avec le Front Polisario, après l’intensification des affrontements et de la répression dans les territoires occupés au début de cette année. La tension n’est pas seulement avec l’Espagne. En mai dernier, Rabat a rappelé son ambassadeur en Allemagne pour des consultations et exige toujours plus que Bruxelles suive la voie des Etats-Unis. Ces derniers ont avalisé les revendications marocaines sur le territoire sahraoui dans l’une des dernières actions de Donald Trump.

Contenir les routes migratoires

Une deuxième hypothèse fait état de ce que le journaliste Enric Juliana appelle un «Plan Turquie 2». Soit «un plus grand soutien européen pour contenir les routes migratoires, puisque les routes turques et libyennes sont bloquées». Périodiquement, le Maroc a utilisé cette clé des routes migratoires comme une forme de pression pour obtenir plus d’aide de l’Union européenne ou pour d’autres questions liées à la politique interne, comme dans le cas du conflit du Sahara occidental.

La pandémie, le confinement et l’effondrement du tourisme ont accru les niveaux de pauvreté et d’inégalité dans le royaume alaouite, en particulier dans les régions les plus touchées par la fermeture des frontières. La situation économique de la population a été durement impactée par les quatre mois d’enfermement. Mais aussi par la suspension du portage décidée par le Maroc, dans une stratégie visant à contenir la contrebande. Cela a laissé des milliers de chômeurs des deux côtés de la barrière, sans autre moyen de gagner leur vie. Lorsque le Maroc a décidé la semaine dernière de desserrer le bouchon de la frontière pour faire pression sur l’Espagne et l’Europe, des milliers de personnes étaient prêtes à braver un avenir incertain.