Le Dr Roland Jeanneret (aucun lien de parenté avec le soussigné) a été un généraliste respecté au Locle. Mais il a connu une épreuve terrible dont on ne sort pas indemne, et le lecteur non plus d’ailleurs: le suicide, à quelques années d’intervalle, de sa fille, puis celui de l’un de ses deux fils. Son livre courageux est d’abord un témoignage bouleversant, mais jamais larmoyant ni voyeuriste, et aussi une analyse aiguë du problème de la dépression, ainsi qu’un remarquable exercice d’introspection, qui fut pour l’auteur une catharsis nécessaire.
Mal-être existentiel
L’ouvrage est divisé en trois parties. La première est consacrée à sa fille Céline. Dès l’adolescence, celle-ci éprouve un mal-être existentiel. Elle va rapidement verser dans l’alcoolisme. Partie en Alaska, elle y rencontre un bon compagnon de vie, qui ne la sauvera cependant pas, en 2010, du suicide par arme à feu, à l’âge de trente-sept ans. Les pages où il est question du voyage de la famille dans cet Etat septentrional, pour y recueillir les cendres de Céline, sont particulièrement tristes et belles, par le magnifique réseau de solidarité qui s’est mis en place.
Puis il est question de Luc. Il vit très mal son école de recrue sanitaire et ne rencontre que des commentaires goguenards de la part de ses supérieurs. Puis le jeune homme, devenu médecin lui aussi et passionné par son métier, sombre dans un état dépressif de plus en plus grave. En 2015, il finit par se jeter dans le vide, du haut des Roches-Voumard. Au terme de recherches angoissantes pour la famille, son corps est enfin retrouvé. Roland Jeanneret rend hommage à l’efficacité, au sens psychologique et à l’empathie de la police neuchâteloise. En revanche, il stigmatise la présence des «curieux, irrésistiblement attirés par l’odeur de la mort». A ce propos, on peut hélas parier que, si une exécution publique était annoncée à Genève sur la place de Plainpalais, ou à Lausanne sur la Riponne, des foules se déplaceraient pour assister au spectacle…
Mort volontaire en héritage?
Le troisième chapitre constitue une introspection particulièrement lucide de l’auteur et père, qui souffre lui aussi de phases dépressives, avec ce que cela peut comporter de sens de la responsabilité: ai-je transmis génétiquement ces tendances suicidaires à mes enfants? Il dit bien l’immense fatigue du dépressif, qui n’a «même plus la force de se lever». Sentiment de culpabilité, chute de l’estime de soi, mal-être si profond que le suicide peut apparaître comme une solution. Il analyse surtout, sans aucune complaisance envers lui-même, son attitude après la mort de sa fille. Il traverse alors alternativement des phases d’abattement et d’excitation extrême, d’hyperactivité fébrile et de cabotinage clownesque. Ces dernières mettent mal à l’aise son entourage.
Ce livre constitue, marginalement, un plaidoyer pour la belle profession de médecin généraliste. Mais il est aussi porteur d’une critique assez vive de la psychiatrie contemporaine, qui semble avoir oublié les bienfaits de la psychothérapie freudienne. Trop de psychiatres se contentent d’administrer des neuroleptiques, des sédatifs et des antidépresseurs, dont l’auteur ne conteste d’ailleurs pas l’efficacité dans certains cas (puisqu’ils ont pratiquement mis fin à l’enfermement des malades). Lui-même est pris en charge par une jeune psychothérapeute. Ses entretiens avec elle ne vont certes pas résoudre le problème. Comme le dit Roland Jeanneret, «on ne défait pas le noeud, mais on peut le desserrer.» Et, il faut le dire, son livre est aussi, au-delà de la souffrance, un hymne à la vie, qui continue notamment à travers les visages épanouis de ses petits-enfants.
Roland Jeanneret, Ces orages dans la tête, Vevey, Editions de L’Aire, 2021, 267 p.