Activistes du climat et actualisation du droit

Suisse • Les procédures juridiques contre les activistes du climat n’en finissent pas. Avec des verdicts pour le moins divergents. Explications d’Alain Papaux, professeur de philosophie du droit et de philosophie du droit de l’environnement.

Teo, qui participait à une «visite guidée des pires entreprises climaticides», a été acquitté le 1er décembre 2020. (Collectif Breakfree)

Coté vaudois, c’est la valse-hésitation. En janvier 2020, 12 activistes du climat avaient été acquittés devant le tribunal de Renens pour une action dans une succursale de la banque Crédit suisse (CS) à Lausanne en novembre 2018. Cette action visait à dénoncer les investissements de CS dans les énergies fossiles, en interpellant Roger Federer, sponsorisé par l’établissement bancaire. Mais le procureur Eric Cottier ayant fait recours, le Tribunal cantonal les avait finalement condamnés en septembre 2020. Après un nouveau recours des accusés, l’affaire est pendante devant le Tribunal fédéral.

A Genève, il aura fallu deux jugements pour qu’un militant du collectif BreakFree, accusé d’avoir badigeonné des «mains rouges» une succursale de CS, soit finalement acquitté le 21 janvier dernier. Un jour plus tard, cinq militants pour le climat ont été acquittés par le tribunal pénal de Bâle-Ville. Ils avaient bloqué l’accès au siège administratif de l’UBS à Bâle durant l’été 2019.

Condamnations zurichoises

La semaine dernière, le Tribunal de Zurich présidé par Marius Weder (PS) n’a pas été dans le même sens. Neuf militants ont été condamnés pour leur manifestation devant le siège du CS à l’été 2019. Huit jeunes sur neuf devront payer 40 amendes journalières de 30 francs chacune. Une peine exécutoire sous condition pour contrainte et violation de domicile. Une personne n’a été condamnée que pour contrainte, et non pas pour violation de propriété. Le total s’élève à 9000 francs de frais de justice et à 2000 francs de frais de procédure par personne condamnée. «Le verdict d’aujourd’hui est à l’image du modèle économique basé sur les énergies fossiles: rétrograde et dépassé. Le tribunal de district de Zürich manque ainsi l’occasion de confirmer la tendance à l’actualisation du droit actuel à la réalité sociale. Cela contraste avec les décisions prises par les autres tribunaux, qui ont reconnu la crise climatique comme une question sociopolitique importante», souligne le collectif BreakFree. Les militant.es ont annoncé faire appel du verdict.

Procès en série

Cette semaine, ce sont quinze militant.es qui comparaissaient devant le tribunal de police de Neuchâtel. En cause: leur blocage de l’avenue du 1er Mars au printemps 2020 pendant 75 minutes. Cette action appelée «Il y a le feu au lac» visait à alerter l’opinion sur l’urgence climatique et l’inaction des autorités. Le juge de l’audience a ajourné son verdict au 11 juin. «Le gouvernement doit dire la vérité sur le caractère mortel de notre situation et déclarer l’état d’urgence climatique. Les émissions de gaz à effet de serre de tous les secteurs sont réduites à zéro d’ici 2025. Et des assemblées citoyennes doivent être instaurées pour déterminer comment les deux objectifs ci-dessus seront réalisés», explique Lori Buton, pour Extinction Rebellion.

Un nouveau procès se déroulait ce mercredi au tribunal de police de Genève. Les faits remontent à la deuxième grève du climat du 15 mars 2019 – la première était en janvier 2019. «Nous avons contesté l’amende infligée par le Service des contraventions car l’intervention policière était excessive et que ce jour-là, nous avons seulement fait usage de notre droit de manifester», assure le collectif La Treille parle.

Jurisprudence contextuelle

Ces différences de verdicts sont-elles explicables? «Contrairement au lyrisme dénonciateur (d’inégalitarisme) niais de maints médias, il n’y a là rien que de très normal pour le droit», estime Alain Papaux. «Nous sommes bien dans un État fédéral. Par conséquent, des différences de sensibilités existent et doivent être «dans une certaine mesure» – l’une des expressions préférées des juristes – acceptées et assumées comme reflets des réalités locales, y compris en termes de valeurs (cf. le cas du «tourisme de l’avortement» des années 80-90). Cela est d’autant plus prégnant que le droit rendu par les tribunaux, la jurisprudence, est toujours éminemment contextuel, contexte interne à l’affaire, mais aussi bien externe. Par exemple, on relève un comportement exemplaire des désobéissants au CS de Lausanne: les clients pouvaient accéder aux guichets, aucun matériel endommagé, des désobéissants joyeux, polis. Mais déterminés – cela n’est pas contradictoire», assure le professeur de philosophie du droit.

Possible reconnaissance de l’urgence climatique

Que décidera in fine le Tribunal fédéral? «Le tribunal fédéral harmonisera, le cas échéant unifiera (ce qui est moins fédéral). Mais sur le plan des principes, et non du détail de chaque affaire – ce n’est pas son rôle. Donc une certaine épaisseur des concepts peut demeurer. Aucune notion juridique fondamentale n’est univoque – dignité humaine, équité, bonne foi, etc. De plus le droit pénal doit tenir compte des circonstances personnelles et situationnelles, fort divergentes souvent d’une affaire à l’autre», précise-t-il.

Contributeur dans le nouveau livre de Dominique Bourg, professeur honoraire à l’Université de Lausanne et spécialiste des questions environnementales, intitulé Désobéir pour la Terre, Défense de l’état de nécessité, Alain Papaux y revendique le droit à la désobéissance civile. «Celle-ci est possible, «si elle ne dépasse pas la mesure», c’est-à-dire si elle respecte l’esprit du droit qui ne se réduit pas à la seule loi, soit selon Victor Hugo tout n’est pas dit quand un code a parlé.» Il estime aussi que la notion d’urgence climatique «pourra, en tous les cas pourrait, rentrer dans l’état de nécessité juridique, du fait que le droit évolue.»