Pour celles et ceux qui n’ont pas le courage de se lancer dans la monumentale biographie écrite par Sylvie Simmons, I’m Your Man: La Vie de Leonard Cohen, la BD de Philippe Girard a réussi à aborder les diverses facettes de l’existence mouvementée du chanteur à l’inimitable voix profonde et rauque.
Racines juives
Leonard Cohen est sur son lit de mort, dans la nuit du 7 novembre 2016, et revoit son passé, qui va être décliné en images. La mort est d’ailleurs omniprésente dans la vie et l’oeuvre du poète. L’auteur insiste avec raison sur la profonde imprégnation de ses origines juives. Son grand-père maternel était un rabbin spécialiste du Talmud. Ce qui conduira Cohen, en 1973 lors de la guerre du Kippour, à chanter pour les soldats des unités blindées du général Sharon. Un geste qui lui vaudra des reproches et qu’il regrettera par la suite. On assiste à ses débuts de poète, influencé notamment par Federico Garcia Lorca, la chanson arrivant plutôt tardivement dans sa vie. La BD est ponctuée par ses grands succès, dont les fameux Suzanne et Hallelujah.
Itinéraire dépressif
Le titre de l’opus, Sur un fil, traduit bien le caractère fragile de cette vie d’artiste constamment menacé par la dépression. Leonard Cohen «carburait» aux antidépresseurs, mais aussi aux cigarettes, à l’alcool, aux amphétamines et aux stupéfiants. Hormis des périodes de sevrage, comme celle qui l’a conduit dans un monastère bouddhique zen japonais. On voit aussi que l’artiste était plutôt un piètre gestionnaire sur le plan financier. Il se fit priver des droits d’auteur pour le mondialement célèbre Suzanne, et plus tard fut ruiné suite aux escroqueries commises par son agente.
Gravité et langage parlé
Quant à la vie sentimentale de ce grand amateur de femmes, elle fut plutôt compliquée. Plusieurs de ses compagnes inspirèrent ses chansons, telles Joan of Arc ou So Long, Marianne. Sexe et spiritualité se conjuguent dans son oeuvre. On découvre cependant avec surprise un père aimant. La BD est donc ponctuée par les grandes étapes de sa vie. Comme sa découverte de l’île grecque d’Hydra, ce haut lieu de la culture hippie, un mouvement Peace and Love auquel on rattache souvent à tort Leonard Cohen. Dans ses dernières années, sa voix se fit plus grave que jamais, restant suspendue entre le chant et le langage parlé.
Sur le plan graphique, le bédéiste Philippe Girard a choisi un dessin sobre, avec des tons de couleurs souvent sombres, à l’image de la vie de son personnage, auquel Montréal a rendu un bel hommage en décorant de son portrait plusieurs grandes façades de la métropole québecoise. C’est d’ailleurs la dernière image de l’opus. Ajoutons que l’auteur y a adjoint une utile «Galerie de personnages», qui permet de s’y retrouver parmi toutes celles et ceux qui ont côtoyé la vie de l’artiste. Si l’on considère la difficulté à rendre en images la vie d’un chanteur au timbre de voix inoubliable, cette BD est incontestablement une réussite.
Philippe Girard, Sur un fil, Castermann, 120 p.