Alvar Aalto (1898-1976) fut l’un des architectes les plus renommés du 20e siècle. Mais désireux de faire un art total, il a créé aussi mobiliers, textiles et verreries. Le documentaire, à la fois instructif et émouvant, repose sur un choix bien rythmé d’archives, d’interviews et d’images sur les réalisations du maître. Il fait une place importante à sa première épouse Aino, elle aussi architecte, qu’il épousa en 1924. Elle fut plus qu’une simple collaboratrice: une véritable compagne de vie et de travail. Elle imprima sa marque aux travaux du couple, notamment en matière d’aménagements intérieurs, de tissus et de design d’objets en verre. Avec elle, Alvar Aalto visita l’Italie, qui l’amena à vouloir créer une nouvelle conception du classicisme.
Architecture humaniste
Aalto réalisa en Finlande de nombreux édifices publics: sanatoriums, hôtels de ville, maisons de la culture, églises, et aussi des habitations privées. Il voulait que chaque édifice fût adapté à ses occupants. C’est ainsi qu’on peut parler d’une architecture humaniste. Par exemple, il a créé pour un sanatorium des fenêtres à travers lesquelles les patients couchés puissent voir l’extérieur. Pour une bibliothèque, il a conçu un éclairage zénithal fait de puits de lumière, eux-mêmes inspirés par les films expérimentaux de László Mohony-Nagy. C’est en cela qu’Aalto se distançait du Bauhaus, dont il fut pourtant assez proche (il rencontra Walter Gropius et Le Corbusier), mais dont il considérait les réalisations architecturales comme un peu dogmatiques et froides. À l’acier et au verre, il préférait le bois, si important dans la culture scandinave. Ses bâtiments ont volontiers la forme de vagues. «aalto» signifie d’ailleurs «vague» en finnois…
En 1935, il fonda Artek pour rendre un mobilier fonctionnel et beau accessible à tous. On peut parler à ce propos d’une conception social-démocrate, au sens nordique du terme, du design. Le film montre notamment des fauteuils d’une extraordinaire élégance et modernité, qui allaient quelque peu inspirer, plus tard, les créations d’Ikea. En 1937, à l’Exposition universelle de Paris, son pavillon de la Finlande fit sensation, à côté de ceux, écrasants et d’esprit totalitaire, de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique de Staline qui, de manière prémonitoire, se faisaient face. Alvar Aalto gagna donc une célébrité internationale dès les années trente. Après l’attaque de la Finlande par l’URSS en 1939, il servit comme officier de réserve.
Marginalisation progressive
Dans l’immédiat après-guerre, sa carrière se poursuivit aux États-Unis, avant son retour définitif dans son pays. Il fut malheureusement écarté du concours pour le bâtiment de l’ONU à New-York, car la Finlande était considérée, en tant qu’alliée de l’Allemagne contre l’URSS, comme un pays ennemi et vaincu. L’année 1949 fut marquée par le décès prématuré d’Aino, des suites d’un cancer. En 1952, il épousa une jeune architecte, Melissa, qui fut pour lui une fidèle collaboratrice. Les dernières années d’Alvar Aalto furent cependant assombries par son alcoolisme et le rejet du maître par la «nouvelle vague» des architectes, qui le considéraient comme trop classique et «capitaliste», parce qu’il avait dessiné quelques banques…
Le film passe assez rapidement sur deux épisodes plus discutables de sa vie: son engagement dans la guerre civile finlandaise de 1918 aux côtés des Blancs du maréchal Mannerheim, et surtout sa visite controversée, en 1943, dans l’Allemagne hitlérienne, à l’invitation de l’architecte du régime nazi Albert Speer. Alvar Aalto restera cependant dans l’histoire comme un personnage attachant, et surtout comme un créateur de génie, dont le but n’était pas la beauté du bâtiment en soi, mais son adaptation aux besoins réels de ses occupants. C’est tout cela que montre le passionnant documentaire de Virpi Suutari.
Virpi Suutari, Aalto. Une Architecture des émotions, 103 min.