Très tôt, Maurice Denis (1870-1943) fut habité par une profonde foi catholique. Ce qui l’amena à un certain conservatisme politique et à des positions antidreyfusardes. Mais il ne fut pas le seul! Nous pensons notamment à Edgar Degas. En revanche, sur le plan artistique, il fut partiellement un novateur, notamment en arrachant l’art religieux à ses suavités saint-sulpiciennes. Le MCBA de Lausanne consacre une belle exposition – la première depuis cinquante ans en Suisse – à ce peintre parfois considéré un peu injustement comme secondaire. Cette présentation permet de suivre l’évolution et de découvrir les différentes facettes de l’artiste.
Héritages multiples
Maurice Denis subit des influences. On perçoit dans certaines de ses oeuvres l’héritage du Pointillisme. Dans son tableau Hommage à Cézanne, il montre ce qu’il doit au peintre d’Aix-en-Provence. Il fut vers 1888 l’un des fondateurs et le théoricien du mouvement des Nabis. Ce terme, venu de l’hébreu, peut être traduit par «prophète», «illuminé» ou «inspiré par Dieu». C’était une réaction spirituelle au matérialisme du siècle. Influencé par Puvis de Chavannes, il réalisa aussi de grands panneaux décoratifs pour des maisons particulières, dont Avril pour celle de son ami, le compositeur Ernest Chausson.
Une partie de l’exposition est donc consacrée à l’art religieux. Relevons le Christ vert, qui fait penser à une icône byzantine, et L’Offrande au Calvaire, peints tous deux vers 1890. Maurice Denis fut éperdument amoureux de Marthe Meurier, qui devint sa femme. Il a prononcé ces belles paroles: «l’amour est un acte de foi. Je crois en vous, Marthe».
Il n’a cessé de peindre son épouse, dans des scènes touchantes qui exaltent l’amour conjugal et la maternité. Signalons notamment Femmes à la terrasse, devant sa petite maison de Saint-Germain-en-Laye (devenue aujourd’hui un musée consacré à l’artiste), où les personnages sont traités dans le style japonisant alors à la mode. Maurice Denis a aussi été très marqué par le Primitivisme siennois et florentin, et tout particulièrement par le moine-peintre Fra Angelico. Ses portraits de femmes et de jeunes filles ont une grande douceur presque angélique, dans ses huiles ou ses pastels aux teintes plus pâles. Ils contiennent souvent des éléments symboliques, comme le lys blanc signifiant la pureté ou le plat de fruits, symbole de fécondité. L’artiste a très bien su traduire sur ses toiles le simple bonheur familial, comme dans Le Dessert au jardin, où le plat de fruits rappelle la peinture flamande. N’adhérant pas aux avant-gardes, Maurice Denis se réclamait d’un «néo-traditionnisme».
Sensualité et spiritualité
Mais même ses sujets profanes ont souvent un aspect religieux. Ainsi dans La Toilette de l’enfant, où le geste de Marthe épongeant la tête de la petite Bernadette s’apparente à celui du baptême. Ou encore dans la toile représentant la jeune Noëlle, guérie d’une appendicite qui faillit lui être fatale, et qui fait songer à une résurrection.
On trouve néanmoins sous le pinceau de Maurice Denis des tableaux résolument profanes, comme ces belles scènes de plage en Bretagne, où la famille se rendait chaque été. Parfois on perçoit une spiritualité païenne, inspirée par la mythologie grecque. Dans une toile intitulée Baigneuses (plage au petit temple), les corps nus des jeunes baigneuses symbolisent une communion totale avec la nature. On le voit, chez cet artiste, sensualité, bonheur terrestre quotidien, tradition et modernisme, spiritualité et profondes convictions catholiques se conjuguent.
Notons qu’une autre exposition se tient actuellement dans les murs du nouveau bâtiment du MCBA. «Matières en lumière. Sculptures de Rodin à Lise Bourgeois» présente un florilège d’oeuvres plastiques où l’on retrouve Danseuse de Degas, Giacometti, Steinlen et ses bronzes animaliers, le Suédois Carl Milles, ou encore des oeuvres contemporaines, dont certaines conçues à l’aide de matériaux recyclés.
«Maurice Denis. Amour» et «Matières en lumière», Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne. Jusqu’au 16 mai.