Vous aurez certainement déjà remarqué sur une carte l’île de la Nouvelle-Guinée, coupée en son milieu par une ligne quasiment verticale. Cette frontière tracée à la règle – héritage tristement typique de l’époque coloniale – sépare conventionnellement le continent asiatique de l’Océanie. A l’est de cette frontière se trouve l’Etat indépendant qu’est la Papouasie Nouvelle-Guinée. La partie ouest de l’île est rattachée à l’Indonésie.
Ne vous êtes-vous jamais interrogés sur l’étrangeté de cette frontière? Elle est en fait parfaitement artificielle, A l’est comme à l’ouest, vivent les Papous, un peuple autochtone de culture mélanésienne. Ils sont apparentés malgré une très grande diversité culturelle et linguistique. Et la frontière officielle passe souvent au milieu de villages. Il ne s’agit pas que d’un découpage arbitraire: la situation de la Papouasie occidentale est celle d’une occupation coloniale brutale, peu connue. Mais qui devrait l’être, au même titre que celle de la Palestine et du Sahara occidental. Elle a ainsi fait près de 400’000 morts, sur une population qui est aujourd’hui de 3,5 millions d’habitants.
Une puissance d’occupation
Le rattachement de la Papouasie occidentale à l’Etat indonésien ne repose sur aucune légitimité hormis celle issue de la force des armes. L’Indonésie, ancienne colonie hollandaise, occupe militairement la partie occidentale de la Nouvelle-Guinée en 1962 – sous contrôle hollandais jusque-là – et l’annexe de force. Ceci contre l’avis de son peuple, qui résista immédiatement à cette nouvelle occupation. La partie orientale de l’île était alors sous mandat de l’Australie, jusqu’à son indépendance en 1975. Suite à un accord conclu entre les USA, les Pays-Bas et l’Indonésie (sans aucun représentant du peuple de Papouasie occidentale), un référendum d’autodétermination devrait être organisé, pour que le peuple de Papouasie occidentale puisse décider de son avenir. Jusque-là, la région serait administrée par l’Indonésie, sous mandat de l’ONU.
Mais l’Indonésie se comporte de fait comme une puissance occupante. Si le gouvernement indonésien eut jamais l’intention de tenir parole, cette perspective devint caduque avec le coup d’Etat du général Soeharto (ou Suharto), de sinistre mémoire. Il commença son règne de terreur avec un véritable génocide dirigé contre ce qui était alors le plus grand parti communiste du monde capitaliste. Il réprime également dans le sang la résistance papoue.
Le dictateur Soeharto organise un scandaleux simulacre d’autodétermination en 1969: 1054 chefs triés sur le volet se voient obligés de se prononcer pour le rattachement à l’Indonésie sous la menace des armes des soldats de l’armée d’occupation. Depuis, la Papouasie occidentale vit sous une chape de plomb: occupation militaire, loi martiale de fait, politique raciste de discrimination envers les Papous, assimilation forcée, innombrables exactions de l’armée indonésienne, qui n’a pas hésité à exterminer des villages entiers… Malgré la brutalité de la répression, l’Organisation pour une Papouasie libre n’a jamais cessé la guérilla contre l’occupant.
Exactions et déforestation
Si la dictature n’est plus, l’Indonésie ne peut guère être qualifiée de démocratie de nos jours, et les méthodes héritées de Soeharto demeurent. Ce qui est vrai du pays entier l’est a fortiori pour la Papouasie occidentale. Malgré une éphémère tentative de dialogue, la répression n’a jamais cessé. Cette partie reste toujours soumise à une occupation coloniale, difficilement accessible aux étrangers et à la presse. L’armée indonésienne y continue ses exactions: répression violente, assassinats, torture… C’est que cette moitié de l’île de la Nouvelle-Guinée possède de grandes richesses naturelles: plus grande mine d’or du monde, colossales réserves de cuivre, nickel, cobalt…
Des richesses que l’élite indonésienne ne compte nullement laisser au peuple autochtone à qui elles reviennent pourtant de droit. Ces ressources naturelles sont soumises à un véritable pillage au profit de compagnies minières. Avec des ravages irréparables causés à l’environnement. La forêt vierge de Papouasie occidentale – avec la biodiversité inestimable qu’elle abrite – se voit défrichée à large échelle, et les populations autochtones expulsées de leurs terres ancestrales, pour laisser place aux monocultures à échelle industrielle, notamment celles des palmiers à huile.
Etat autoritaire, répressif et cleptocrate
Malgré la répression, le peuple de Papouasie occidentale n’a jamais abandonné sa lutte. Celle-ci est même passée à un niveau qualitativement supérieur. En plus de la guérilla à une échelle limitée, il existe un mouvement de protestation massif, dans les villes de Papouasie occidentale comme dans le reste de l’Indonésie, des mobilisations de la diaspora et des efforts à trouver des appuis diplomatiques à l’étranger. En 2014 fut fondé le Mouvement uni pour la libération de la Papouasie occidentale, un mouvement politique indépendantiste, et plus seulement de guérilla.
Le 1er décembre, il adopte une Constitution provisoire pour une future République de Papouasie occidentale. Et fait de Benny Wenda, le président d’un gouvernement provisoire en exil (que l’Indonésie s’est évidemment empressée de déclarer illégitime). Le but de ce gouvernement est de parvenir à un référendum d’autodétermination, visant à donner naissance, selon Benny Wenda au «premier Etat vertau monde et un modèle de droits de l’homme – à l’opposé des décennies de colonisation indonésienne sanglante».
S’il n’y avait pas déjà plus de raisons qu’il n’en faut pour rejeter l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, c’est qu’il contribue à favoriser le pillage colonial et écocidaire de ressources naturelles appartenant de droit à un peuple soumis à une occupation illégitime. Si le Conseil fédéral avait le moindre égard pour les valeurs dont il se réclame, il dénoncerait cette occupation, plutôt que de faire hypocritement des affaires avec la puissance occupante. Tout anti-impérialiste conséquent, ou même quiconque considère que le droit des peuples à l’autodétermination n’est pas qu’un vain mot, doit soutenir la légitime exigence du peuple de Papouasie occidentale de faire enfin usage de ce droit.