Né en 1957, Maurice Satineau est docteur en sciences politiques de l’Université de Lausanne, enseignant d’économie politique et journaliste sur des sujets économiques. N’étant rattaché à aucun parti politique, il peut se permettre de lancer ses critiques tous azimuts, au risque de (dé)plaire à tout le monde… Il est le petit-fils de son homonyme Maurice Satineau (1891-1960), homme politique en Guadeloupe et député à l’Assemblée nationale française.
Radicalité sociale
Son livre Gouvernés, Révoltés, Désenchantés. 30 ans que cela dure, s’articule en sept chapitres. Il part de la constatation d’un «mal-être collectif perdurant» et de l’existence de diverses fractures (sociale, économique, écologique, politique) qui minent la société française. Celles-ci durent depuis des décennies, et pourtant la naissance du mouvement des Gilets jaunes, le 17 novembre 2018, a suscité la surprise. Ce qui a conduit l’auteur à s’interroger sur ses causes profondes. Il constate d’abord que, centré sur la radicalité islamique, Paris n’a pas vu venir la radicalité sociale. Et aussi que la violence et la haine se sont installées dans la société française. Celle-ci peut frapper tout le monde, des pompiers au personnel hospitalier en passant par le réparateur d’ascenseurs. D’où les scènes d’affrontements violents dans la rue, notamment entre policiers et manifestants.
CDI en question
Concernant l’économie, Maurice Satineau ne craint pas d’avancer que «le contrat à durée indéterminée est l’objet de tous les espoirs pour conjurer la précarité du petit boulot. Ce rapport au temps long contractuel contraste fâcheusement avec l’idée de limiter le temps d’effort une fois l’embauche acquise.» Par ailleurs, la France a vécu deux décennies de désindustrialisation et son secteur secondaire contribue deux fois moins à la richesse nationale que son concurrent allemand. Il y aurait, selon l’auteur, un sentiment anti-économie dans la société française.
A propos de la vie politique, il observe que l’abstention est structurelle. Il y a un véritable mouvement de fond d’abstentionnisme. De là découlerait la perspective de fonder un «parti apolitique des Gilets jaunes». En une formule audacieuse, l’auteur estime que «la dominante symbolique du gilet jaune a éclipsé la symbolique du drapeau révolutionnaire rouge.» A propos du Front national (Rassemblement national dès 2018), il relève que le vote en sa faveur, longtemps urbain, a largement gagné les campagnes, qui se sentent parfois menacées dans leur identité, d’où leur adhésion à une «France historique» largement mythique.
France «verticalisée»
Le politologue ne ménage pas ses critiques envers le système présidentiel français, clinquant, installé dans les dorures de palais anciens, «abreuvé de sondages d’opinion et toujours en pré-campagne de quelque chose». Il dénonce la sacralisation du pouvoir (sans doute héritée de siècles de monarchie). Les Français se sentent de plus en plus éloignés de l’élitisme gouvernemental et présidentiel. Les scandales successifs ont par ailleurs contribué à cet éloignement.
Autre facteur de blocage, l’action prépondérante de Paris au niveau local, notamment en matière de crédits. La France, aujourd’hui toujours «verticalisée», aurait donc tout à gagner à une véritable décentralisation.
L’écologie constitue une nouvelle ligne de fracture interne. Ainsi, on remarque que le mouvement des Gilets jaunes a débuté en raison d’une taxe supplémentaire sur le carburant! Et il faut bien constater que «le discours des révoltés n’a laissé que peu de place à la défense de l’environnement.»
Le titre de l’ouvrage, 30 ans que cela dure, se veut un contrepoint à une autre période, celle des 30 glorieuses. Et Maurice Satineau de conclure en ces termes: «De la mondialisation subie aux mutations du travail engendrées par la technologie, des pertes de repères politiques au refus des institutions existantes, le malaise français est devenu structurel». Son livre incisif, parfois provocateur, incite donc à la réflexion.
Maurice Satineau, Gouvernés, Révoltés, Désenchantés. 30 ans que cela dure, Editions à la Carte, 2020, 162 p.