Mais qui était Edgar Woog, sans doute bien oublié aujourd’hui, sinon des membres les plus âgés du Parti suisse du Travail (PST)? Il naquit en 1898 dans une famille juive de commerçants en textile bâlois. Il adhéra au Parti communiste mexicain et, sous le nom d’Alfred Stirner, fut dans les années vingt et trente un fonctionnaire du Komintern pour l’Amérique latine. Rentré en Suisse, il joua un rôle important dans le Parti communiste. Dès sa fondation en 1944, il fut membre du PST, dont il sera le secrétaire central de 1949 à 1968. Il fut parfois en désaccord avec la direction du parti, notamment lors des guerres israélo-arabes, où il estimait que le PST défendait une position trop favorable aux pays arabes. Edgar Woog est décédé en 1973.
Gauche zurichoise victorieuse
Nous sommes au printemps 1946. Les élections communales zurichoises ont lieu. Depuis 1928, une Municipalité de gauche dirige la «Zurich rouge», qui a à son actif de nombreuses réalisations urbanistiques et sociales. Mais en 1938, du fait d’une alliance entre les formations bourgeoises et les frontistes (fascistes), la gauche a perdu sa majorité au Conseil communal. Les élections de 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, vont se dérouler dans un climat tendu. Le Parti socialiste décide de faire liste commune avec le jeune PST. La droite bourgeoise se déchaîne alors dans une propagande violemment anticommuniste. L’une de ses affiches électorales montre le Grossmünster de Zurich surmonté de deux drapeaux rouges arborant la faucille et le marteau. Voilà ce qui attend la cité de la Limmat si la gauche l’emporte! Et c’est ce qui arrive.
Le PST, notamment, obtient un excellent résultat, comme cela avait déjà été le cas à Genève, Bâle-Ville, Neuchâtel et dans le canton de Vaud. Cette adhésion populaire (éphémère) au Parti du Travail était due au prestige de l’Armée rouge, vainqueur du nazisme, et au profond besoin de changements sociaux pour l’après-guerre. La même année 1946, Edgar Woog devient membre du Stadtrat, l’Exécutif de la Ville de Zurich. Une photo le montre d’ailleurs serrant la main du très anticommuniste Winston Churchill, lors de la visite de celui-ci en Suisse…
Temps des crises et procès Woog
Mais l’atmosphère politique dans le monde est en train de changer. Avec la guerre civile grecque et l’éviction des ministres communistes en Italie et en France, puis le «coup de Prague» en 1948, on assiste au début de la guerre froide. Dès 1950 ce sera la guerre de Corée et l’apogée de l’anticommunisme en Suisse, avec par exemple l’éviction par les syndicats de leurs dirigeants membres du PST. De surcroît une crise interne agite le Parti du Travail, qui exclut plusieurs de ses dirigeants (Otto Brunner, Karl Hofmaier, Léon Nicole).
C’est dans ce contexte de grande tension que se situe l’«Affaire Woog». Le 6 octobre 1947, il est arrêté pour avoir confié l’argent de collectes à la Koordinationsstelle für Nachkriegshilfe, une organisation proche du PST qui se concentrait sur l’aide aux pays situés dans la sphère d’influence communiste (Pologne, Yougoslavie, Tchécoslovaquie et Albanie). De surcroît, Woog avait détourné 5000 francs de la somme récoltée soi-disant en faveur des enfants polonais, au profit du Vorwärts, le journal du PST alémanique. Le 8 octobre 1947, il est mis en congé de sa fonction de Municipal. Ce qui donne lieu à une manifestation de protestation qui rassemble quelque 3000 personnes dans la Maison du Peuple.
En janvier 1949, Woog est condamné à six mois de prison. Il est définitivement exclu du Stadtrat (Conseil municipal) en avril. En 1950, le Parti du Travail de Zurich avance de nouveau sa candidature. Mais au contraire des élections de 1946, et alors qu’on est en pleine guerre froide, le PdT voit sa représentation au Législatif chuter de 15% à 6%. Edgar Woog sera réélu en 1951 au Conseil national où il aura passé deux législatures, de 1947 à 1955.
Mais le PdT zurichois entame son rapide déclin. Il culminera avec la campagne de haine qui suivra la répression par l’armée soviétique de l’insurrection hongroise en 1956.
Si des faits pénalement condamnables peuvent être reprochés à Edgar Woog, son «Affaire» révèle surtout la vigueur de l’anticommunisme en Suisse, mâtiné parfois de relents d’antisémitisme. n
Source principale: Sozialarchiv Info, 4/2020, pp. 17-27.