Marguerite Burnat-Provins mise à l’honneur à Vevey

Expo • Le Musée Jenisch évoque le parcours de cette femme libre, écrivaine et peintre.

Profil à la coiffe, �899Crayon au graphite, encre, aquarelle,gouache blanche et rehauts dorés sur papier, 33,6 × 33,8 cm (Collection privée © Infolio édition)

La vie et l’oeuvre, tant picturale que littéraire, de cette femme hors du commun sont indissociables. Le choix du Musée Jenisch de lui consacrer une exposition à la fois chronologique et thématique est donc tout à fait pertinent. Marguerite Provins naît en 1872 à Arras, en Flandre française, dans une famille bourgeoise et cultivée. A l’âge de dix-sept ans, elle subit une opération qui malheureusement l’empêchera d’avoir des enfants. On verra ce traumatisme resurgir dans son oeuvre, tout comme la présence de la mort, deux thèmes récurrents. A Paris, elle suit les cours de deux Académies de peinture.

Elle dispose donc d’une solide formation technique, qui fait qu’on ne saurait classer ses dessins «hallucinatoires» tardifs dans la catégorie de l’Art Brut, quand bien même la fondation lausannoise éponyme en possède une belle collection. Lors de ses voyages en Belgique et en Hollande, elle découvre l’art flamand qui inspirera certains de ses portraits. Elle se prend aussi de sympathie pour les symbolistes et les japonistes. On voit donc qu’elle assimile des influences diverses, notamment celle de l’Art nouveau, très présent dans ses représentations florales, et même souvent dans le cadre en bois de ses tableaux. C’est sans doute l’aspect le plus connu de son oeuvre. L’exposition en offre d’ailleurs de beaux exemples.

En 1896, elle épouse l’architecte suisse Adolphe Burnat et s’installe avec son mari à Vevey. Elle va vite étouffer dans l’atmosphère très protestante et austère de sa belle-famille, qui voit d’un mauvais œil sa liberté de mœurs. Heureusement, elle fait deux ans plus tard la connaissance d’Ernest Biéler. Ce peintre vaudois que l’on rattache à l’«Ecole de Savièse» l’entraîne en Valais. Savièse est alors l’équivalent romand de Pont-Aven en Bretagne pour les Français: un lieu «primitif», loin de la civilisation urbaine, où règnent encore des valeurs traditionnelles considérées comme plus authentiques.

Marguerite se costume volontiers en Valaisanne. Elle est en symbiose avec la nature et les paysans de montagne. Le Musée Jenisch montre une série de ses portraits de Valaisans et Valaisannes au visage buriné. L’influence de Biéler est très présente dans ces oeuvres-là. Mais Marguerite Burnat-Provins excelle aussi dans l’art de l’affiche: on peut notamment voir à Vevey celle qui fut réalisée par elle pour la Fête des Vignerons de 1905. Elle rejoint en cela Eugène Grasset et Adolphe Mucha. Elle montre aussi un certain sens du commerce, en ouvrant une boutique de bibelots et «ouvrages de dames». La même année 1905, elle appelle à la constitution d’une «Ligue pour la Beauté», qui amènera la création du Heimatschutz, aujourd’hui Patrimoine suisse, autre aspect méconnu de son activité.

Fascination du Maroc

En 1906, c’est le coup de foudre! Marguerite rencontre à Savièse Paul Joseph Marie de Kalbermatten, un ingénieur valaisan de six ans son cadet, et tombe éperdument amoureuse de cet homme qui deviendra son second mari. Elle lui dédie un recueil de poèmes, Le Livre pour toi, où elle exprime crûment son désir charnel, évoquant par exemple «la framboise mûrie à la pointe de mes seins», ce qui bien sûr fait scandale à l’époque! En 1907, elle quitte définitivement la Suisse. Elle accompagne Paul dans ses voyages professionnels, qui les emmènent au Moyen-Orient, en Amérique du Sud mais surtout au Maroc, où elle passera plusieurs hivers. Ses carnets de croquis témoignent de la fascination qu’a exercée ce pays sur elle, comme sur d’autres peintres tels Delacroix ou Matisse.

En 1914, nouveau bouleversement dans la vie de cette femme à la fois forte et psychiquement fragile. Le jour de la déclaration de guerre, déferlent dans sa tête des personnages fantastiques, qu’elle va traduire en dessins. Et de 1914 à sa mort en 1952, elle produit une oeuvre appelée «hallucinatoire» (terme qu’elle récuse elle-même), et qu’il faut plutôt qualifier de visionnaire. Ces dessins et tableaux tardifs annoncent le Surréalisme. Ils font aussi penser, par l’hybridation entre êtres humains et animaux, au monde fantastique de Jérôme Bosch. Il est intéressant de constater qu’ils ont d’abord intéressé médecins et psychiatres, avant d’être reconnus comme des oeuvres d’art. La seconde salle de l’exposition est presque entièrement consacrée à ce volet de sa production artistique.

L’exposition veveysanne permet donc de découvrir une personnalité complexe, contradictoire, multiface, et une oeuvre exceptionnelle, elle aussi extrêmement diverse et de surcroît fascinante. En parallèle, on peut admirer quelques toiles de Christine Sefolosha et les céramiques de Sandrine Pelletier, deux artistes invitées, qui ont ressenti une grande proximité avec l’oeuvre de Marguerite Burnat-Provins.

«Marguerite Burnat-Provins», Musée Jenisch, Vevey, jusqu’au 24 janvier 2021.