Même celles et ceux qui n’éprouvent pas une attirance particulière pour l’art contemporain seront séduits par le travail remarquable de Chiara (Kiki) Lanier Smith, née en 1954. Toute son oeuvre, qui s’étend sur quatre décennies, se concentre sur la représentation du corps humain. Dès 1979, elle copie les planches du livre d’Henry Gray, Anatomy: Descriptive and Surgical (1858). Ainsi, Meat Head montre une tête d’écorché. Ailleurs, elle grave dans le linoléum des organes internes, coeur, poumons, utérus, de manière presque clinique.
L’artiste maîtrise de nombreuses techniques: le dessin, les figures en papier mâché, l’estampe, les collages, le bronze. Il y a quelque chose d’artisanal dans son art, un travail sur la matière qui rompt avec les productions de trop nombreux pseudo-créateurs contemporains, dont les prétentions conceptuelles cachent la vacuité du produit fini. L’engagement féministe de Kiki Smith apparaît bien dans Daisy Chain: un corps démembré, dont les parties sont unies par des chaînes, se veut une dénonciation des violences faites aux femmes. Dans I Am, elle a reproduit sa propre tête. L’exposition propose des oeuvres monumentales, tel cet ensemble de corps en papier mâché suspendus comme des cadavres au plafond, et entourés de panneaux rouges exprimant le sang qu’ils ont perdu. Rien de macabre cependant dans les travaux de l’artiste qui, même provocants, ont une grande beauté formelle.
Dès la fin des années 1990, Kiki Smith laisse de côté ses productions «anatomiques» et s’attache au corps entier de la femme. Elle montre des figures mythologiques ou bibliques, telle sainte Geneviève, patronne de Paris qui, dit-on, parvenait à domestiquer les loups. Son corps en bronze sort d’ailleurs du ventre de l’un d’entre eux.
Au deuxième étage, on sera impressionné par l’ensemble splendide de tapisseries en coton, tissées sur un métier Jacquard à carte perforée, une technique inventée en 1801. Kiky Smith avait été fascinée par la Tapisserie de l’Apocalypse à Angers. Dans les siennes, on va retrouver tout son univers, notamment la relation étroite qu’elle établit entre les êtres humains et la nature, le cosmos. Ce sont des figures féminines ou animalières, celles-ci privilégiant les oiseaux et leur plumage, sexualisé car l’artiste voit des vulves dans les ocelles des paons. Plus loin, Moon on Crutches (Lune avec des béquilles) présente des nus féminins en aluminium, posés en équilibre sur des échafaudages. Ce faisant, Kiki Smith reprend la symbolique fort ancienne assimilant la Lune à la Femme. Il n’y a donc pas, dans l’oeuvre résolument moderne de cette artiste, de rupture avec la grande tradition artistique.
Aquarelles de Giovanni Giacometti
Une deuxième exposition, fort différente et plus «sage», est consacrée à une production méconnue de Giovanni Giacometti (le père d’Alberto), plus célèbre pour ses huiles. Comme dans ces dernières, l’artiste grison de Stampa, dans le Val Bregaglia, s’est surtout attaché à représenter, dans ses subtiles aquarelles qui frisent parfois l’abstraction, son canton, ses lacs, ses villages, ses sommets tel le Piz Corvatsch. Il en sort aussi et peint Paris ou le Tessin. Certains des travaux présentés ici furent des commandes, par exemple des projets pour des cartes postales. L’oeuvre de Giacometti a toujours été proche de celle de son ami Cuno Amiet, dont il fait un beau portrait. Car il s’est affronté aussi à la figure humaine. Ses portraits de sa fille Ottilia au piano ou de son épouse Annetta lisant à Minusio sont pleins de tendresse et de délicatesse. Comme le disait Ramuz, «il n’est de général que le particulier». Les aquarelles de Giovanni Giacometti dépassent donc largement le cadre de l’art régional grison.
«Kiki Smith. Hearing You with My Eyes», jusqu’au 10 janvier 2021, et «Giovanni Giacometti. Aquarelles», jusqu’au 17 janvier 2021, MCBA, Lausanne.