Alarme et indignation des professionnels de la culture

Alors que la crise pandémique rebondit pour s’installer dans la durée, l’ensemble du secteur de la culture craint ses conséquences économiques et sociales. Les indépendants et salariés soumis à des contrats de courte durée s’indignent des dispositifs d’indemnisation inadéquats prévus

Béatrice Graf, musicienne professionnelle et présidente de la Fédération genevoise des musiques de création en concert. DR

« Tous les acteurs de la culture seront sévèrement touchés dans leurs conditions d’existence en cas d’un nouveau confinement ou d’un renforcement des restrictions des conditions d’organisation d’événements ». Dans un communiqué de presse daté du 24 octobre prenant en compte la nouvelle donne sanitaire, la Task force culture nationale souligne l’impact dévastateur de la crise du COVID-19 pour tout le secteur de la culture, composé de très nombreux travailleurs indépendants et salariés intermittents. Elle s’inquiète également du fait que beaucoup de cantons n’aient pas encore versé les compensations pour pertes de gains, ou ne les aient versées que partiellement pour les six derniers mois. La situation est d’autant plus alarmante qu’avec la nouvelle mouture de la loi Covid-19 sur la culture, il n’est plus possible pour les employeurs.euses d’obtenir des RHT pour les CDD (contrats à durée déterminée). « De plus, aucune des mesures concernant les CDD que nous avons proposé pour les salarié.e.s intermittent.e.s n’ont été retenues. Pourtant, elles sont indispensables pour protéger les professionnels dans la durée et non au coup par coup en cas de rupture de contrats obligatoire engendrée par la pandémie », s’indigne Fabienne Abramovich, directrice d’Action Intermittence. Créée en 1997, cette association précurseuse est reconnue comme une interlocutrice indispensable pour tout ce qui touche au statut social des artistes et aux intérêts des intermittent.e.s salarié.e.s du domaine de la culture. En 2003, elle a obtenu, grâce au soutien de nombreux organismes nationaux, des aménagements par voie d’ordonnance avec un statut spécifique dans l’application de l’assurance chômage pour les intermittent.e.s des arts de la scène et de l’audiovisuel.

Impact sur toute la chaîne

Depuis le début de la pandémie, l’association continue à nourrir des contacts étroits non seulement avec les organismes professionnels et acteurs et actrices culturelles soumis à des mandats, mais aussi avec les institutions et associations professionnelles, entreprises culturelles et les lieux de représentations qui emploient les artistes. « La situation est grave sur toute la chaîne de production et de diffusion et pour tous les domaines artistique (théâtre, danse, musique, cinéma, arts plastiques, etc…). Tous les acteurs et actrices de la culture vont se retrouver dans une situation très préoccupante car les employeuses/eurs risquent de ne pas pouvoir honorer les contrats pris avec les professionnell.e.s mandaté.e.s ou salarié.e.s », ajoute Fabienne Abramovich. La Task force culture avait déposé une série d’amendements aux chambres à la fin août. Conseiller national socialiste genevois, Christian Dandrès s’est battu énergiquement avec ses collègues socialistes et verts pour éviter cette situation. « Avec la nouvelle loi, les autorités ne prévoient pas un mécanisme exceptionnel et unique qui permette une reconnaissance substantielle des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel qui ont été très durement touchés dans leurs activités », déplore-t-il.  Selon Béatrice Graf, musicienne professionnelle et présidente de la Fédération genevoise des musiques de création, « toutes celles et ceux qui touchaient de l’argent de main à main sans déclarer leurs charges sociales se sont trouvés à l’aide sociale parce qu’il n’y avait pas de RHT ou d’APG possibles pour eux. Et plus généralement, pour celles et ceux qui sont en CDD ou qui sont indépendants, soit pour les 90% des artistes, la situation est catastrophique. Pourtant, aucun professionnel ne devrait risquer de se retrouver à l’aide sociale », souligne-t-elle. Les collectivités publiques investissent des sommes colossales dans la formation des artistes dans de très nombreux domaines (musique, danse, théâtre, arts graphiques). Ces choix coûtent, mais ils rapportent aussi beaucoup à la collectivité. « On sait que l’économie culturelle et créative génère de très gros revenus pour l’Etat. Dès lors, on ne peut pas former tous ces jeunes, et après leur dire de « faire la manche » ou de se reconvertir. Si l’on peut comprendre que certains organisateurs se contentent de défraiements pour des amateurs qui gagnent leur vie par ailleurs, on ne peut pas justifier le fait que de l’argent public alimente l’économie informelle ». La Fédération genevoise des musiques de création souhaite revaloriser les dotations publiques aux institutions et associations musicales qui s’engagent à suivre des bonnes pratiques. Elle demande également une augmentation conséquente des fonds ponctuels d’aide à la création et la diffusion. Enfin, en association avec la Ville de Genève et l’association Sémaphore, elle invite à trois table-rondes pour discuter du statut de l’artiste et de l’intermittence lors de la 1ère Rencontre des Musiques de Création le 3 novembre prochain à l’Alhambra de Genève.