Il y a juste un an, Evo Morales, prési- dent sortant gagnait de justesse les élections, dénoncées comme frauduleuses par les opposants acharnés soutenus par l’Organisation des Etats américains (OEA). Après 2 semaines de troubles, les directions de l’armée et de la police se sont retournées contre Morales qui a dû fuir d’abord au Mexique pour s’installer ensuite, tout comme son vice-président Linares en Argentine. Mme Añez s’est autoproclamée présidente ad intérim avec l’appui de tous les opposants à Morales et de l’administration américaine. Ceci en promettant de «restaurer la démocratie» et d’organiser de nouvelles élections.
Plusieurs fois repoussées, elles auront lieu le 18 octobre. En une année, et malgré les tentatives de blocage de l’Assemblée législative encore majoritairement en mains du Mouvement vers le socialisme (MAS) de l’ex- président Morales, Mme Añez a pris des décisions qui en disent long sur sa volonté d’en finir avec la politique populaire et favorable aux peuples indigènes défendue par le gouvernement du MAS depuis 2005. Ainsi en politique extérieure, reconnaissance du président auto-proclamé Guaido du Venezuela et fermeture des ambassades à Cuba, Nicaragua et Iran, alignement sur les positions soutenues par le groupe de Lima (regroupant les pays les plus réactionnaires, Brésil et Colombie en tête et les Etats-Unis et qui s’oppose notamment au gouverne- ment de Maduro), ré-ouverture de l’ambassade des Etats-Unis entre autres.
Politique intérieure répressive
Sur le plan interne: renvoi presque immédiat des médecins cubains travaillant à la campagne, répression de manifestations populaires avec plu- sieurs morts au début de son mandat, harcèlement, menace et mise en accusation des principaux dirigeants du MAS, non-délivrance de sauf-conduits de 6 ex-ministres ou gouverneurs exilés à l’ambassade du Mexique à la Paz, arrêt pratiquement complet d’investissements dans l’éducation, les infra- structures routières et j’en passe.
Sans parler du mépris total et ouvertement affiché de la culture et de la population indienne. Mme Añez a favorisé les grands propriétaires terriens en ouvrant la porte aux OGM, laissant la forêt amazonienne brûler plus que jamais. Les ONG qui critiquaient Morales en 2019 sur ce sujet, sont particulièrement silencieuses aujourd’hui. Mme Añez n’a pu cacher sa mauvaise gestion de la pandémie et surtout les nombreux cas de corruption dans son gouvernement, dont
celui de l’achat de respirateurs surfacturés et inutilisables.
Elle a voulu privatiser à nouveau la distribution de l’eau à Cochabamba, s’attaquant à une victoire emblématique du MAS en 2003 et le début de son ascension vers la présidence en 2005. C’est dire si la droite réactionnaire et soutenue par les églises évangélique et catholique n’est pas prête à rendre le pouvoir facilement au MAS. Ceci même si tous les sondages donnent la victoire au premier tour à son candidat Arce.
Le tout est de savoir s’il devancera de plus de 10% le candidat de la droite le mieux placé. Ainsi l’ex-président Carlos Mesa, dont le projet politique est néolibéral, et qui devra certainement composer avec la droite «revanchiste» pour gouverner. Et s’il a plus de 40% de voix, ce qui lui suffirait pour être proclamé président au premier tour. Au second tour, il est probable que la droite se regroupe sur pression externe ce qui rendrait la victoire du MAS plus difficile. Cette pression a déjà contraint Mme Añez à retirer sa candidature.
Elections avec exigence démocratique forte
Il faut que les élections soient démocratiques et sans indices de fraudes, ce qui est loin d’être acquis. La droite soutenue par les Etats-Unis et les multinationales ayant un œil sur le lithium et le gaz, ne veut pas de retour du MAS au pouvoir. De plus, c’est l’OEA farouchement opposée à tout gouvernement progressiste qui sera l’observateur externe principal de ces élections. Rien ne dit que les forces armées ne s’opposera pas au résultat de ce scrutin, si le MAS gagne.
Osons espérer que le gagnant soit M. Arce, qui a promis de poursuivre les choix politiques du MAS. Il est l’ancien Ministre de l’économie et artisan principal de la croissance économique du pays durant les trois mandats de Morales. Durant treize ans, il a réussi à amener l’économie bolivienne à des niveaux de développement record et à une croissance économique moyenne de 5% en pleine crise économique internationale. C’est le résultat de la nationalisation du pétrole et du gaz et de la récupération des entreprises stratégiques qui ont été privatisées par le néolibéralisme. Mais aussi de l’industrialisation, de l’investissement dans les routes, l’éducation, la santé, les sports et l’intégration nationale, et de la redistribution des richesses.
Cela dit, quel que soit le vainqueur, la stabilité du pays sera difficile à maintenir, tant la société bolivienne est fracturée. Il y a une droite décomplexée alliée à une petite et moyenne bourgeoisie blanche et citadine.
Parlement renouvelé
Cette dernière voit d’un mauvais œil une bourgeoisie indienne naissante et qui a pris de la place dans les différents postes de l’Etat ainsi qu’une gauche menée par le MAS et la puissante Centrale ouvrière bolivienne (COB). Celle- ci a montré sa capacité à bloquer les routes début août dernier, obligeant la présidente auto-proclamée à fixer une date d’élection. Ce à quoi elle se refusait jusque-là.
L’autre enjeu de ces élections boliviennes du 18 octobre est le renouvellement du parlement qui comme chez nous est bicaméral. Aux élections de l’an passé, et sans que les résultats n’aient jamais été formellement contestés, le MAS avait obtenu 67 sièges de députés (sur 130), le parti de M. Mesa 50, et les 13 autres se répartissant entre l’extrême droite de Mme Añez et de M. Camacho.
Au Sénat, la majorité du MAS était même plus confortable avec 21 sièges sur 36. Tout cela est remis en jeu le 18 octobre. Pour le MAS, le défi est aussi d’avoir et de conserver une majorité dans les 2 chambres qui constituent l’Assemble législative plurinationale.
Dans un contexte aussi polarisé que celui de la Bolivie, sans cette majorité, la gouvernabilité du pays serait encore plus difficile pour le MAS, en cas de victoire à l’élection présidentielle. Mais d’un autre côté elle pourrait au moins, en cas de perte de la présidence, représenter un large front de résistance institutionnelle. C’est d’autant plus vrai, si le processus électoral est limpide. Vraiment, il se joue une page importante de la Bolivie.
Avant les mandats du gouvernement Morales, le pays était connu comme l’Etat latino-américain avec la plus grande instabilité politique et le nombre le plus élevé de putschs. C’est dire combien ces élections sont importantes. Pour le peuple bolivien, la région latino-américaine et la démocratie.