Novateur et déconcertant, La petite dernière est un livre qui rompt avec la production littéraire habituelle et avec le parisianisme. L’auteure, née en 1995, a adopté le pseudonyme de Fatima Daas. Sans doute pour ne pas blesser sa famille. Mais aussi parce qu’elle revendique sa différence avec son personnage. Il ne s’agit donc que partiellement d’une écriture autofictionnelle. Le «roman» vaut d’abord par son style.
Il s’agit d’un monologue, fait de phrases courtes, sans fioritures, et dont toutes semblent donc essentielles. On a pu suggérer que son style, qui tient par moments du langage du rap, provient de la maladie chronique de Fatima, l’asthme, dont il traduirait le rythme respiratoire. Mais il a sans doute aussi été inspiré par les sourates du Coran, un recueil de textes assez brefs. Chaque chapitre du livre est introduit par une phrase, «Je m’appelle Fatima Daas». Mais à chaque fois, l’auteure introduit une particularité: «nom symbolique en islam» et qui signifie «chamelle sevrée», «Clichoise», «née par césarienne», «asthmatique allergique», «française d’origine algérienne», «pécheresse», «musulmane», a «fait quatre ans de thérapie», «polyamoureuse», et d’autres qualificatifs encore. Elle revendique cette multiplicité d’appartenances.
Elle va révéler ses différentes facettes tout au long du récit, mais de manière discontinue. Plus important encore que son style profondément original est l’univers social, personnel et religieux qu’elle révèle. D’abord celui de la ban- lieue où vivent nombre d’immigrés nord-africains. Et puis sa famille: un père taiseux et brutal, une mère dont le «Royaume» est son ménage, deux sœurs aînées. Une famille à laquelle elle est liée par l’amour et le sentiment d’appartenance, mais par rapport à qui elle est aussi en révolte.
Une famille qui vit en France, mais qui a des racines profondes en Algérie. De belles pages sont consacrées à ses visites dans la parenté algérienne, beaucoup plus «tactile» et chaleureuse. Cette double appartenance de Fatima – française et algérienne – est bien marquée par les phrases en arabe phonétique reproduites dans le livre, et aussitôt traduites. Hayya Ala-salat, bayya ala-salat, Hayya ala falah, bayya ala-l-falah: «Venez à la prière. Venez à la félicité». La musicalité de la langue arabe, notamment celle des textes coraniques, ajoute à la fascination que procure ce livre hors du commun. Car Fatima est profondément croyante.
Ce n’est pas un donné, mais une quête: elle cherche à se rapprocher toujours plus intimement de l’Islam, dans ce qu’il a de plus noble, de plus généreux: l’idée d’un Dieu compatissant et pardonnant. Car Fatima aime les femmes, ce qui est considéré comme un grave péché par ses coreligionnaires. Elle se sent donc coupable, pécheresse, tout en sollicitant d’être accueillie par un Dieu qui aimerait toutes ses créatures, quelle que soit leur orientation.
Il y a quelque chose de pathétique et de courageux chez cette jeune femme qui essaie d’assumer et de concilier toutes ses contradictions, toutes ses identités, afin d’être en paix avec les autres et avec elle- même, mais sans céder aux conformismes ambiants. La petite dernière est aussi un cri de rébellion et de liberté!
Fatima Daas, La petite dernière, éd. Noir sur Blanc, 2020, 187 p