La maison qui abrite L’Atelier De Grandi, dédié à Italo et Vincent, deux frères peintres, est en soi intéressante. Avec ses formes pures et géométriques, elle constitue un exemple marquant d’architecture contemporaine sur la Riviera vaudoise. Elle fut construite en 1939 pour Italo, comme atelier et logement, par le célèbre architecte d’avant-garde Alberto Sartoris, un disciple de Le Corbusier.
L’exposition temporaire actuelle est entièrement consacrée aux aquarelles vénitiennes qu’Italo De Grandi (1912-1988) réalisa entre 1977 et 1987, soit dans la dernière décennie de sa vie. Il n’avait commencé à peindre à l’aquarelle que sur le tard, dès 1968, sur les conseils de son ami Gérard de Palézieux. L’artiste séjournait chaque année à Venise, non pendant les mois estivaux d’afflux touristique, mais en janvier et février, et y travaillait toujours sur le motif.
Une cité poétiquement voilée
La Venise d’Italo De Grandi est donc une cité des ciels voilés et pâles. S’étend alors sur la ville «une gaze de brume azurée», comme l’écrivait Rodolphe Töpffer. Avec beaucoup de délicatesse, l’artiste a su rendre les différentes nuances de l’eau, tant celle des canaux que de la lagune, du bleu intense au bleu pâle et au gris. Son œuvre est résolument figurative. Elle illustre donc des lieux précis, tels l’église San Giorgio Maggiore, la Dogana ou la Giudecca. Les visiteurs qui connaissent la Cité des Doges auront du plaisir à les reconnaître. Mais rien à voir avec les chromos pour touristes exécutés à la chaîne et vendus sur la place Saint-Marc! Les cadrages d’Italo De Grandi sont souvent originaux. Il peint volontiers des détails: ponts, arcades, éléments de façade. Mais aussi de larges vues générales, ainsi celle que l’on peut avoir en arrivant à Venise en bateau, ou encore l’ensemble de la lagune avec au loin le Lido.
Comme il sied à la saison hivernale, les couleurs sont rarement vives, mais au contraire atténuées, pâles, ce qui confère à la Venise d’Italo une poésie particulière. On verra aussi dans l’exposition quelques dessins au crayon de son épouse Elisabeth (1914- 2001), qui témoignent d’une belle maîtrise. Elle avait été l’élève de Casimir Reymond. Mais elle s’est tenue en retrait (sort de bien des femmes artistes), n’a jamais exposé, malgré un dialogue artistique constant avec son mari.
Notons enfin que l’exposition a été placée sous le signe du rapport entre la peinture et la littérature dans l’évocation de Venise. Des citations ont donc été placées en regard des tableaux. Comme celle de Jean Cocteau qui a écrit: «Je connais un pays étrange où les lions volent (allusion aux multiples statues de lions, animal symbole de saint Marc) et où marchent les pigeons.»
Eloge de l’aquarelle
Une fois n’est pas coutume, rendons hommage à la qualité exceptionnelle du catalogue. Outre ses belles reproductions des œuvres, il propose une série de textes éclairants. Françoise Jaunin nous livre une synthèse remarquable sur l’histoire de l’aquarelle, longtemps considérée à tort comme un genre «mineur», mais particulièrement appréciée des peintres anglais comme William Turner. Elle convenait particulièrement bien aux peintres-voyageurs faisant leur Grand Tour qui les menait jusqu’en Italie. Sa contribution est excellemment complétée par celle de Claire Koenig sur la technique de l’aquarelle. Quant à Christophe Flubacher, il analyse avec perspicacité une série d’œuvres vénitiennes d’Italo. A leur propos, il parle d’«une brume tendre, une opalescence vaporeuse et humide». Raphaël Aubert, lui, se penche sur les rapports étroits entre Venise et les écrivains, particulièrement chez Marcel Proust et Paul Morand. Comme Italo De Grandi a peint surtout des bâtiments, un texte de Nadja Maillard traite de l’apport particulièrement important de Venise à l’architecture, à travers Vasari, Palladio ou encore Viollet-le-Duc.
Relevons enfin que tous ces textes sont rédigés dans une langue claire et précise, sans jargon pour initiés, et sont donc facilement abordables pour le grand public auquel ils s’adressent.
«Italo De Grandi. Venise. Aquarelles», Atelier De Grandi, 7 chemin d’Entre-deux-Villes, 1802 Corseaux/Vevey. Du jeudi au dimanche de 13h30 à 18h00. Jusqu’au 8 novembre.