La collection permanente du MCBA n’a été visible que pendant une journée… puis la fermeture des musées due à la pandémie est survenue. Rappelons d’abord brièvement l’histoire de cette institution culturelle. Un petit musée cantonal encyclopédique fut inauguré en 1818 près de la cathédrale. Puis, en 1841, le Musée Arlaud (du nom du mécène qui finança sa construction) fut ouvert à la place de la Riponne, et la collection y prit place. Grâce à un autre mécène, le prince russe Gabriel de Rumine, fut construit le grand bâtiment néo-florentin du même nom, inauguré en 1906. Il a abrité les aulas de l’Université, la bibliothèque cantonale et plusieurs musées, dont celui des Beaux-Arts. Mais depuis longtemps, ce dernier se révélait trop exigu pour présenter la riche collection, ainsi que des expositions temporaires.
Après l’échec en votation populaire du projet de Bellerive, le nouveau bâtiment sis tout près de la gare de Lausanne put enfin ouvrir ses portes au public en 2019. Il présenta une grande exposition consacrée à Vienne qui, également fermée pour cause de Covid-19, a rouvert le 2 juin et sera prolongée jusqu’au 23 août. Nous lui avons déjà consacré un article (GH n°11, 13 mars 2020).
La politique d’achat du musée a beaucoup évolué depuis le 19e siècle. Au début, il acquit surtout des toiles de peintres vaudois et suisses (Burnand, Anker), avec un accent mis sur la peinture historique (Gleyre) et académique. Depuis l’ouverture du palais de Rumine, on s’intéressa davantage à des artistes plus modernes (Hodler, Steinlen, Biéler, Vallotton). Grâce à des legs, les visiteurs peuvent maintenant admirer des œuvres de peintres de renommée internationale comme Courbet, Degas, Renoir, Cézanne ou Matisse… Dès les années 1960, on assiste à une ouverture à l’art d’avant-garde (expressionnisme, Pop art, abstrac- tion, art vidéo). En 1956, le musée put acquérir 400 dessins de Soutter, l’un de ses importants fonds mono- graphiques, avec ceux de Charles Gleyre et de Félix Vallotton. La collection actuelle compte 11’000 œuvres. Il n’est donc pas question de les montrer toutes en même temps! Le MCBA a choisi d’en exposer un premier florilège de 196 œuvres, dont 94 d’art contemporain. Cette présentation sera régulièrement renouvelée. Celle que l’on peut voir actuellement est un remarquable florilège chronologique de la collection, des Primitifs italiens au 21e siècle. L’ensemble s’avère passionnant et varié, car il offre un panorama des différents genres picturaux et des écoles qui se sont succédé.
Tour d’horizon subjectif
Nous vous proposons donc une visite, certes subjective, mettant en valeur les œuvres les plus représentatives, et celles pour lesquelles nous avons eu un coup de cœur. Dans la première salle, on verra un tableau célèbre et rare, Le massacre de la Saint-Barthélémy (vers 1572-1584), par François Dubois. L’œuvre est d’un réalisme extrême, montrant des scènes atroces liées à cet événement qui constitua un pic du fanatisme religieux. On s’arrêtera aussi devant une pièce historique emblématique, devenue une véritable icône nationale suisse, Les Romains passant sous le joug, peinte en 1888 par Gleyre. Elle relate une victoire des Helvètes conduits par Divico, en 107 av. J.-C.
Autre tableau représentatif de la «suissitude», Taureau dans les Alpes (1884) d’Eugène Burnand, qui remporta un grand succès à Paris. Ernest Biéler, lui, a montré un Savièse idéalisé, rural et catholique. Mais on admirera surtout sa grande toile symboliste, très fortement inspirée par l’Art nouveau, L’eau mystérieuse (1911), un bassin entouré par de jeunes femmes aux robes chatoyantes. Dans la même veine symboliste, Regard dans l’infini III de Ferdinand Hodler, qui date de 1903/1904, montre un homme nu, le fils du peintre, dressé sur un promontoire rocheux. C’est là que l’artiste situe le jardin d’Eden. Mais la présentation offre aussi des découvertes, telle la belle toile de la Zurichoise Louise Breslau, qui est le portrait d’une de ses compagnes peintres, assise Sous les pommiers (1886) en fleurs, qui se rattache au post-impressionnisme.
Les grands peintres français, on l’a dit, ne sont pas absents de la collection vaudoise. En témoigne notamment un remarquable paysage marin de Claude Monet, Voiliers en mer (1868), où le pinceau du grand impressionniste traduit la vitesse des bateaux toutes voiles dehors. On pourra contempler plusieurs toiles de Félix Vallotton, notamment Vases à Honfleur (1917), qui rend magnifiquement l’atmosphère de ce port normand à marée basse.
La collection comprend un ensemble particulièrement riche de dessins faits au doigt par Louis Soutter. Ce sont sou- vent des visages angoissés et des corps distordus. Une Crucifiction, réalisée entre 1937 et 1942, peut faire songer à la Seconde Guerre mondiale, qui a interpellé l’artiste dans son internement contre son gré à l’asile de Ballaigues. Mais Soutter, fortement marqué par son éducation protestante, s’est aussi identifié à Celui qui à ses yeux incarnait l’innocence martyrisée.
Présence importante d’artistes féminines
Si les femmes sont assez peu présentes jusqu’au milieu du 19e siècle, vu les tabous existants et le refus de les
admettre dans les académies d’art, les artistes féminines s’affirment clairement aux 20e et 21e siècles. La présentation actuelle de la collection permanente leur accorde une bonne place. Nous pensons notamment à Alice Bailly, dont la Femme à l’éventail de 1913 se réfère au fauvisme, au cubisme et au futurisme, ce mouvement qui exaltait le mouvement et la vitesse.
Mais la place des femmes est surtout importante au 2e étage, consacré aux avant-gardes, avec par exemple Miriam Cahn et Francine Simonin. De Jean Dubuffet, le découvreur de l’Art brut, on peut voir une peinture-sculpture représentant un personnage, Le précepteur, qui tend son index autoritaire.
La sculpture (bronzes, pierre, bois) n’est en effet pas absente de la collection. Outre les classiques, comme Rodin ou Bourdelle, les visiteurs seront certainement impressionnés par les têtes géantes sculptées dans le bois par Kader Attia en 2014. Elles lui ont été inspirées par les photographies des «gueules cassées» de 1914-1918. Le Lucernois Albrecht Schnider, quant à lui, a réalisé en 1889 un autoportrait, proche à la fois du Pop art et de la Nouvelle Objectivité, et plein de symboles: le crâne illustrant la brièveté de la vie, le chien la fidélité, la palette et le rideau de scène les arts.
Mentionnons enfin A occhi chiusi (2018), par Giuseppe Penone, un triptyque monumental dont la partie centrale est en marbre de Carrare, tandis que les deux panneaux extérieurs sont en acrylique sur bois dans lequel une multitude d’épines d’acacia forment un dessin tout en courbes. Le même artiste a réalisé le grand arbre en bronze aux feuilles dorées, Luce e ombra, aux réminiscences surréalistes, qui orne le hall d’entrée du musée et qui frappe immédiatement celle et celui qui y pénètrent.
Voilà donc un périple personnel à travers ce premier échantillonnage de la collection. D’autres visiteurs feront probablement des choix différents. L’intérêt de cette présentation est qu’elle peut répondre à des goûts variés. A ne pas manquer donc!
«La collection», Musée cantonal des Beaux- Arts, Lausanne, entrée gratuite.