Un beau projet pédagogique et intergénérationnel

Cinéma • Yamilé Arsenijevic a réalisé une série de films avec enfants et adultes.

Le cinéma de Yamilé Arsenijević-Jaussi veut aussi contribuer à réduire le fossé entre les générations. (DR)

Yamilé Arsenijević-Jaussi est née en 1958. Depuis 1980, elle est maîtresse de classes enfantines (1e et 2e Harmos selon la terminologie actuelle), à la Vallée de Joux puis à Aubonne, avant de venir s’installer à Romainmôtier, au pied du Jura vaudois, en 1988. Elle a aussi écrit et monté des spectacles de théâtre.

Depuis 2008, elle a réalisé une série de films, avec le concours technique de son mari Mića. Ceux-ci se veulent une sorte de défense de l’institution publique. Ils espèrent aussi contribuer à réduire le fossé entre les générations. Or ce dernier s’est approfondi, du fait que beaucoup de personnes âgées vivent aujourd’hui en EMS. Même s’ils participent à un même projet, les sujets de ses films, tous tournés avec des enfants, et parfois la présence de leurs parents et grands-parents, voire d’autres personnes du troisième âge, sont différents.

Dans L’école aux oiseaux (2010), les gosses de six ans créent des films d’animation, en utilisant la pâte à modeler, le dessin, les découpages. Activité ludique certes, mais aussi formatrice. Le Bal a été réalisé en 2008 avec la classe enfantine de Premier, le village voisin. Les enfants ont appris les pas et figures nécessaires aux danses folkloriques en ligne ou en cercles de diverses origines, ou encore pour la valse. Les fillettes sont vêtues de leurs plus jolies robes. Les enfants dansent en couple devant leurs parents et grands-parents sagement assis et tout émus. Puis adultes et enfants dansent ensemble. Les gosses verbalisent le projet. On n’est pas dans le spontanéisme absolu, ni dans l’esprit de Libres enfants de Summerhill, la bible des parents soixante-huitards… Yamilé Arsenijević croit en la nécessité de cadres et de structures permettant aux enfants de s’épanouir. Derrière l’aspect apparemment festif, il y a donc la volonté de l’institutrice de faire passer des apprentissages de vie.

Le titre du film Comme l’eau vive (2012) a été emprunté à une chanson bien connue de Guy Béart. Le projet est ambitieux. Parents et grands-parents sont invités à jouer de leur instrument à un bal, ce qui va favoriser des contacts entre personnes qui ne se connaissaient pas. Elles vont ensemble co-construire un orchestre improbable, les plus faibles s’appuyant sur les plus doués. C’est un véritable spectacle qui se prépare sous la conduite, bien présente mais peu dirigiste, de Yamilé. Un gosse s’initie au maniement de la caméra. D’autres élèves réalisent des décors. Les enfants s’expriment sur le processus, apprenant ainsi à verbaliser leurs expériences et émotions. Du côté des adultes, on assiste à un échange entre cultures différentes, dans un climat de respect mutuel. Et vient le grand moment du bal lui-même, qui clôt cette expérience pédagogique totale. La joie règne. Parents et enfants dansent ensemble. «C’est quelque chose de magique», dit une participante. Quant à l’institutrice, elle s’exprimait ainsi dans une interview à 24 Heures: «Les enfants ne sont pas du tout impressionnés par la caméra, ils sont naturels car ils ont l’habitude de moi.»

Interpeller la société

Le film le plus émouvant est peut-être Chronique d’une rencontre (2013). Les élèves d’une classe enfantine se rendent à l’EMS de Croy, autre village de la région, pour partager le repas de midi avec les résidents et travailler avec eux à des objectifs pédagogiques. Yamilé s’est en effet aperçue que très peu d’enfants vont en visite en EMS. Le premier contact est certes un peu laborieux, des deux côtés. Pas facile pour un enfant de cinq ans de converser avec un.e aîné.e de nonante ans! Mais peu à peu, au fil des heures, les interlocuteurs «s’apprivoisent». Naît alors, dans la plupart des cas, un véritable contact entre générations. Ce film est très touchant. Mais surtout, il interpelle la société, car il met le doigt sur la ghettoïsation des personnes âgées. Sélectionné au Festival du film d’éducation d’Evreux, il a été diffusé dans toute la France.

Un nouveau film, Le rouge des mots (poésie et peinture en lien avec la nature), commence sa carrière de projections publiques et a déjà rencontré quatre cents spectateurs. Il faut saluer l’engagement de cette institutrice dans un projet global qui requiert sans doute peu de moyens financiers, mais une grande disponibilité, beaucoup d’inventivité, une conscience sociale du fossé intergénérationnel, et bien sûr un véritable amour des enfants.

Les films de Yamilé Arsenijević sont disponibles, en projections ou DVD chez: Air-de-rien, ch. du Pré des Cailles 10, 1323 Romainmôtier, films@air-de-rien.ch et calendrier des projections sur www.air-de-rien.ch