Ce livre raconte donc un parcours militant qui a connu diverses étapes et une profonde évolution. Il offre aussi des renseignements intéressants sur tout un pan de la vie politique et associative fribourgeoise. Pourtant Jacques Eschmann est né en 1947 dans le Jura, alors entièrement bernois. Sa famille, d’origine modeste, est profondément catholique. Vers 1516 ans, il songe même à devenir prêtre. Il est alors plutôt conservateur, anti-séparatiste et anticommuniste… Sa mère lui transmet cependant l’idéal d’un christianisme humaniste. Et tout va basculer pendant son adolescence. Il participe à des camps du Service civil international. Il fera son service militaire dans les sanitaires non armés. Il adhère au catholicisme de gauche incarné par l’hebdomadaire français Témoignage chrétien. Puis son évolution personnelle l’amène en 1969 à l’athéisme et au marxisme, dans le cadre de la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR), à laquelle il consacre de nombreuses pages, riches en détails méconnus sur ce mouvement – très faible il faut le dire – à Fribourg, où il fait ses études universitaires.
Eschmann trouve dans la LMR à la fois l’anticapitalisme et le rejet du communisme à la soviétique. Il montre, comme d’autres l’ont fait avant lui, l’intensité de l’activité militante au sein de cette formation: «travail jeunes», «travail ouvrier», opposition à la guerre du Vietnam, soutien aux horlogers de Lip à Besançon, Comité Chili, etc. Il dit lui-même: «ouf! cette liste a aujourd’hui le don de m’étouffer…» Pourtant il tiendra quinze ans à ce rythme effréné. Car, car comme ses camarades, il croit «en l’imminence de la révolution». Il est bien sûr copieusement fiché et essuie des Berufsverbote (interdictions professionnelles). En 1980, la LMR a changé son nom en Parti socialiste ouvrier (PSO), puis se fond dans Ecologie et Solidarité, qui devient en 1990 les VertEs.
Engagement syndical et associatif
C’est dans le cadre de cette formation politique que Jacques Eschmann est élu en 1991 au Conseil communal (Exécutif) de la ville de Fribourg. Il y siègera jusqu’en 2001. Ce qui donne lieu à d’autres pages intéressantes de son livre, où il fait part de sa collaboration fructueuse avec des membres d’autres partis, et en particulier avec le syndic Dominique de Buman. L’ouvrage relate aussi trente ans d’activité de syndicaliste, au sein de la VPOD, qui deviendra en 1982 le Syndicat des services publics (SSP). Là, il prône la coopération avec les syndicats chrétiens, longtemps considérés comme des frères ennemis. Il refuse de plus en plus les sectarismes, d’où qu’ils viennent. Peu à peu, le thème de l’environnement, marginal jusquelà, progresse. Eschmann adhère donc à Pro Natura et au WWF.
Dès 2001, l’orientation militante de cet homme infatigable s’oriente vers un engagement dans le milieu associatif: présidence de Pro Natura Fribourg, travail dans le cadre de FriSanté, structure qui offre des soins médicaux et de prévention aux exclus, aux sans-papiers, aux professionnelles du sexe, aux toxico-dépendants. Sans oublier une organisation plus récréative: il fonctionne à SuisseRando comme chef de course. Sur le plan professionnel, alors que plusieurs institutions scolaires ont refusé les services de ce «gauchiste», il a pu s’épanouir depuis 1969 dans une école trop peu connue: les Cours d’Introduction aux Etudes universitaires en Suisse (CIUS), hélas fermés depuis, une décision politique absurde qu’il condamne.
Au terme de son livre attachant – dont la lecture, avouons-le, se révèle cependant un peu austère – Jacques Eschmann s’interroge sur ses engagements: «Ce qui me paraissait alors tellement évident et définitif a fait place à des doutes, à des interrogations.» Certaines de ses certitudes ont été battues en brèche. En particulier, il ne croit plus en «l’existence d’une élite croyant détenir la vérité». Ses convictions restent cependant profondément enracinées. Il reste convaincu que le rouge et le vert doivent continuer à aller de pair!
Jacques Eschmann, Rouge et vert. Souvenirs d’un militant, Vevey, Ed. de L’Aire, 2020, 462 p.