Le petit virus qui change le monde

Réflexion • La crise pandémique amène à envisager autrement la mondialisation. Et délaisser des activités et fonctionnements économiques nuisant gravement à la santé humaine et terrestre. Une analyse de René Longet.

Pendant des années, on s’est gaussé de la faiblesse des États, du manque de réactivité des pouvoir publics, de la passivité de nombre d’élu.e.s devant la croissance des inégalités, une globalisation très mal régulée, les menaces écologiques, et bien d’autres choses encore. A juste titre, il faut le dire.

Voilà qu’un petit virus change radicalement la perspective. En quelques jours, pleins pouvoirs aux présidents, aux gouvernants. L’urgence coronavirienne est déclarée. Les frontières ferment, tout un continent ou presque est placé sous couvre-feu, les humains sont isolés les uns des autres, de même les générations, la population est consignée à domicile, le télétravail devient la règle. Aucun lobby d’aucune sorte n’a été consulté, même pas pour la forme, aucun passe-droit n’a été accordé. Et ceci non pour quinze jours, mais peut-être pour tout un printemps.

Une capacité d’action qu’on croyait perdue

Un bien supérieur est en jeu, la santé, la vie humaine. Nous sommes prêts à lui subordonner nos habitudes, nos liens, nos rencontres, nos sorties, nos façons de vivre. Ce choix est indiscutablement juste. 50 ans de société de consommation et de loisirs n’auront donc pas réussi à tout réduire à l’économique, à phagocyter le sens du bien commun, à dissoudre le collectif dans un individualisme exclusif.

Un petit doute cependant: on connaît en matière de santé les effets désastreux du sucre, du fast-food, de l’excès de viande, de l’huile de palme, du tabac, de la pollution chimique, mais là, on est encore loin, très loin, de sortir le quart des grands moyens mobilisés contre le petit virus. Pourtant, cette bataille serait bien moins impactante pour nos vies de tous les jours: qui a besoin d’une double dose de sucre ou de viande, d’un trop-plein de lipides saturés, de molécules toxiques dans ses veines? Pour cela, aucune nécessité de confiner les gens à la maison, il faut juste faire d’autres choix de production et de consommation…

Ces jours, ces semaines, que nous allons passer d’une manière tout à fait inédite, cette situation de guerre sans bombes, sans tranchées ni destructions physiques, va laisser des traces dans nos vies individuelles et collectives. Nous
allons apprendre à travailler autrement, à communiquer autrement, à apprécier, quand nous serons à nouveau libres de nos gestes et de nos mouvements, les petites joies de l’existence. Nous allons voir la mondialisation autrement, œuvrer, devant les impressionnantes fragilités de nos fonctionnements économiques et techniques, à davantage de résilience locale; nous aurons également à faire un tri entre les activités que nous nous réjouissons de reprendre – et celles que nous abandonnerons volontiers.

Santé humaine, santé de la Terre vont de pair

Oui l’agitation de nos sociétés avait atteint des niveaux insoutenables. Tourbillon incessant de sollicitations. Aviation au taux annuel de croissance de bientôt 10%. Réunions pléthoriques, avantageusement remplacées par skype, messageries et conférences téléphoniques. Bateaux de croisière destructeurs. PIB gonflé à la surconsommation et au gaspillage. Oui, dans tout cela aussi, il faudra faire un tri salutaire, nécessaire, pour ne pas retomber dans la frénésie d’avant. Notre relation à l’espace et au temps devra durablement changer.

Prendre ce virage sera bon pour notre santé physique et psychique. Mais aussi pour celle de la Terre. Car paradoxalement, le petit virus, s’il fait du mal à l’humanité, a fait du bien à la Terre: ainsi, les émissions de CO2 ont nettement reculé. Administrant au passage la preuve des liens directs entre l’activité humaine et les émissions de gaz à effet de serre – en quelques semaines, voilà les climatosceptiques définitivement démasqués. Et si nous poursuivions sur cette trajectoire de réduction, une fois l’attaque virale surmontée?

Ce que nous aurons su faire pour notre santé, il nous faudra le faire avec la même détermination, la même énergie, la même cohérence pour la santé de la Terre. Car notre Terre est malade de notre suractivité, de notre omniprésence, de notre négligence. Alors tournons définitivement le dos au plastique, au pétrole, à la société de l’obsolescence (des objets, suivie très rapidement de celle des humains), à toute cette chimie non maîtrisée qui s’incruste dans chaque interstice du vivant, préservons la biodiversité aussi fort que nous menons la guerre contre le petit virus. La santé de la Terre et notre santé, décidément, vont de pair.