En contournant les milieux académiques pour rependre dans les médias des promesses, peu fondées, d’avenir meilleur, le microbiologiste français Didier Raoult prend le risque de faire perdre à la parole scientifique une légitimité cruciale et déjà entamée. L’homme dirige un pôle d’expertise marseillais sur les maladies infectieuses concentrant à la fois chercheurs et soignants autour de ces questions.
Rappelons que fin janvier, l’ex-Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui a mené avec zèle une politique d’austérité hospitalière, déclarait, «le risque d’importation depuis Wuhan est quasi nul, le risque de propagation du coronavirus dans la population est très faible». Raté. Quelques jours auparavant, l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection publiait une vidéo dans laquelle son directeur, le Pr. Didier Raoult, répondait à la question de savoir si l’on devait craindre le coronavirus, qui sévissait alors en Chine. «Le monde est devenu complètement fou! C’est à dire qu’il se passe un truc où il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l’OMS s’en mêle, ça passe à la radio et à la télévision», s’exclamait-il alors. Encore raté.
Un mois plus tard, l’Institut publie une nouvelle séquence intitulée «Coronavirus: la partie est finie!». On y entend le professeur annoncer un «scoop de dernière minute». Rapportant une étude chinoise qui montrerait des effets «spectaculaires» de la chloroquine – une substance longtemps utilisée contre le paludisme – sur le Sars-Cov2 (Covid19), il déclare que ce dernier provoque «probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes et donc ce n’est pas la peine de s’exciter».
L’information se répand comme une traînée de poudre dans les médias et les réseaux sociaux. Semblant alors douter des cartes qu’il a en main l’Institut se ravise et renomme sa vidéo «Vers une sortie de crise?». La rigueur scientifique paraissait avoir repris ses droits par ce point d’interrogation lorsque le 20 mars, l’équipe du professeur remet le couvert en publiant une étude censée montrer l’efficacité d’un traitement à base de chloroquine, alliée à un antibiotique. Cette fois le chercheur déclare dans toute la presse qu’il va tester et soigner avec sa «découverte». De nouveaux essais sont en cours.
Il y a toutefois de quoi interroger le sérieux de l’étude du Pr. Raoult et consorts. Premier élément troublant, celle-ci a été publiée dans le Journal international des agents antimicrobiens. Problème, l’éditeur de la revue en question n’est autre que Jean-Marc Rolain, subalterne de Raoult, notamment charge de la «valorisation» à l’IHU Méditerranée-Infection. Comment prendre du receul lorsque l’on relit le travail de son propre directeur? Ensuite, sur le plan du protocole scientifique, il s’agit d’une comparaison entre des groupes de personnes ayant reçu un traitement à la chloroquine (avec ou sans antibiotique) et un groupe «témoin» n’ayant pas pris ce traitement, rendant impossible l’exclusion d’un quelconque effet placebo. Au vue de l’urgence de la situation, il est compréhensible qu’une telle étape ait été sautée. Il est plus difficile de saisir comment un chercheur de renom peut diffuser des résultats s’appuyant sur un essai avec un nombre réduit de personnes (24), divisés en groupes d’âges moyens très différents et composé pour le groupe aux effets mesurés les plus importants (chloroquine plus antibiotique) de seulement 6 individus. Pire, certaines mesures pourtant essentielles sont manquantes.
On finit de s’inquiéter en apprenant que plusieurs patients traités ont été exclus des analyses. Ainsi un ne supportait pas le traitement, deux sont partis aux soins intensifs et un est décédé.
Minimiser le désastre
Le Gouvernement et notamment son Comité analyse recherche et expertise (Care), composé de 12 chercheurs et médecins et chargé de conseiller l’exécutif sur les traitements et les tests contre le coronavirus pourraient perdre en crédibilité dans l’opinion pour avoir minimisé la catastrophe. Depuis le 24 mars, le Pr. Raoult ne participe plus à ce Conseil scientifique de Macron qui s’est distancié des positions du Marseillais.
Mais les effets d’annonces «spectaculaires» – s’ils devaient finir en espoirs déçus – pourraient miner pour partie une légitimité scientifique, pourtant cruciale en ces heures sombres. En effet, on peut s’interroger sur l’adhésion de la population à certaines mesures basées sur des avis scientifiques parfois sujets à caution et mises en application par des politiques qui n’ont pas attendu le coronavirus pour perdre la partie.